VI.
La Vieille et les deux Servantes.
Il estoit une Vieille ayant deux Chambrieres.
Elles filoient si bien, que les sœurs filandieres
Ne faisoient que broüiller au prix de celles-cy.
La Vieille n’avoit point de plus pressant soucy
Que de distribuer aux Servantes leur tâche
Dés que Thetis chassoit Phœbus aux crins dorez,
Tourets entroient en jeu, fuseaux estoient tirez,
Deçà, delà, vous en aurez ;
Point de cesse, point de relâche.
Dés que l’Aurore, dis-je, en son char remontoit ;
Un miserable Coq à point nommé chantoit.
Aussi-tost nostre Vieille encor plus miserable
S’affubloit d’un jupon crasseux et detestable ;
Allumoit une lampe, et couroit droit au lit
Où de tout leur pouvoir, de tout leur appetit,
Dormoient les deux pauvres Servantes.
L’une entr’ouvroit un œil, l’autre étendoit un bras ;
Et toutes deux trés-mal contentes,
Disoient entre leurs dents, Maudit Coq, tu mourras.
Comme elles l’avoient dit, la beste fut gripée ;
Le Réveille-matin eut la gorge coupée.
Ce meurtre n’amanda nullement leur marché.
Notre couple au contraire à peine estoit couché,
Que la Vieille craignant de laisser passer l’heure,
Couroit comme un Lutin par toute sa demeure.
C’est ainsi que le plus souvent,
Quand on pense sortir d’une mauvaise affaire,
On s’enfonce encor plus avant :
Témoin ce Couple et son salaire.
La Vieille, au lieu du Coq, les fit tomber par là
De Caribde en Sylla.