FABLE I.
Le Buscheron et Mercure.
A.M.L.C.D.B.
Vostre goust a servi de regle à mon Ouvrage.
J’ay tenté les moyens d’acquerir son suffrage.
Vous voulez qu’on évite un soin trop curieux,
Et des vains ornemens l’effort ambitieux.
Je le veux comme vous ; cet effort ne peut plaire.
Un Auteur gaste tout quand il veut trop bien faire.
Non qu’il faille bannir certains traits delicats :
Vous les aimez ces traits, et je ne les hais pas.
Quant au principal but qu’Esope se propose,
J’y tombe au moins mal que je puis.
Enfin si dans ces Vers je ne plais et n’instruis,
Il ne tient pas à moy, c’est toujours quelque chose.
Comme la force est un poinct
Dont je ne me pique point,
Je tâche d’y tourner le vice en ridicule,
Ne pouvant l’attaquer avec des bras d’Hercule.
C’est là tout mon talent ; je ne sçay s’il suffit.
Tantost je peins en un recit
La sotte vanité jointe avecque l’envie,
Deux pivots sur qui roule aujourd’huy notre vie.
Tel est ce chetif animal
Qui voulut en grosseur au Bœuf se rendre égal.
J’oppose quelquefois, par une double image,
Le vice à la vertu, la sottise au bon sens ;
Les Agneaux aux Loups ravissans,
La Moûche à la Fourmy ; faisant de cet ouvrage
Une ample Comedie à cent actes divers,
Et dont la scene est l’Univers.
Hommes, Dieux, Animaux, tout y fait quelque rôle ;
Jupiter comme un autre : introduisons celuy
Qui porte de sa part aux Belles la parole :
Ce n’est pas de cela qu’il s’agit aujourd’huy.
Un Bûcheron perdit son gagne-pain ;
C’est sa coignée ; et la cherchant en vain,
Ce fut pitié là-dessus de l’entendre.
Il n’avoit pas des outils à revendre.
Sur celuy-cy rouloit tout son avoir.
Ne sçachant donc où mettre son espoir,
Sa face estoit de pleurs toute baignée.
O ma cognée, ô ma pauvre cognée !
S’écrioit-il, Jupiter rend la moy :
Je tiendray l’estre encore un coup de toy.
Sa plainte fut de l’Olimpe entenduë.
Mercure vient. Elle n’est pas perduë,
Luy dit ce Dieu, la connoîtras-tu bien ?
Je crois l’avoir prés d’icy rencontrée.
Lors une d’or à l’homme estant montrée,
Il répondit : Je n’y demande rien.
Une d’argent succede à la premiere ;
Il la refuse. Enfin une de bois.
Voilà, dit-il, la mienne cette fois ;
Je suis content, si j’ay cette derniere.
Tu les auras, dit le Dieu, toutes trois.
Ta bonne foy sera recompensée.
En ce cas-là je les prendray, dit-il.
L’Histoire en est aussi-tost dispersée.
Et Boquillons de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le Roi des Dieux ne sçait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor,
A chacun d’eux il en montre une d’or.
Chacun eût crû passer pour une beste
De ne pas dire aussi-tost, La voilà.
Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la teste.
Ne point mentir, estre content du sien,
C’est le plus seur : cependant on s’occupe
A dire faux pour attraper du bien :
Que sert cela ? Jupiter n’est pas dupe.