(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XVI. Le Loup, la Mere et l’Enfant. » p. 158
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XVI. Le Loup, la Mere et l’Enfant. » p. 158

XVI.

Le Loup, la Mere et l’Enfant.

La Bique allant remplir sa traînante mammelle,
Et paistre l’herbe nouvelle,
Ferma sa porte au loquet ;
Non sans dire à son Biquet ;
Gardez-vous sur votre vie
D’ouvrir, que l’on ne vous die
Pour enseigne et mot du guet,
Foin du Loup et de sa race.
Comme elle disoit ces mots,
Le Loup de fortune passe.
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa memoire.
La Bique, comme on peut croire,
N’avoit pas vû le glouton.
Dés qu’il la voit partie, il contrefait son ton ;
Et d’une voix papelarde
Il demande qu’on ouvre, en disant Foin du Loup,
Et croyant entrer tout d’un coup.
Le Biquet soupçonneux par la fente regarde.
Montrez-moy pate blanche, ou je n’ouvriray point,
S’écria-t-il d’abord (pate blanche est un point
Chez les Loups comme on sçait rarement en usage.)
Celuy-cy fort surpris d’entendre ce langage,
Comme il estoit venu s’en retourna chez soy.
Où seroit le Biquet s’il eust ajoûté foy
Au mot du guet, que de fortune
Nostre Loup avoit entendu ?
Deux seuretez valent mieux qu’une :
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

Ce Loup me remet en memoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris.
Il y perit ; voicy l’histoire.
Un Villageois avoit à l’écart son logis.
Messer Loup attendoit chape-chute à la porte.
Il avoit vû sortir gibier de toute sorte ;
Veaux de lait, Agneaux et Brebis,
Regimens de Dindons, enfin bonne Provende.
Le larron commençoit pourtant à s’ennuyer.
Il entend un enfant crier.
La mere aussi-tost le gourmande,
Le menace, s’il ne se taist,
De le donner au Loup. L’Animal se tient prest ;
Remerciant les Dieux d’une telle avanture.
Quand la mere appaisant sa chere geniture,
Luy dit : Ne criez point ; s’il vient, nous le tuërons.
Qu’est cecy ? s’écria le mangeur de Moutons.
Dire d’un, puis d’un autre ? Est-ce ainsi que l’on traite
Les gens faits comme moy ? Me prend-on pour un sot ?
Que quelque jour ce beau marmot
Vienne au bois cueillir la noisette.
Comme il disoit ces mots, on sort de la maison.
Un chien de cour l’arreste. Epieux et fourches fieres
L’ajustent de toutes manieres.
Que veniez-vous chercher en ce lieu, luy dit-on ?
Aussi-tost il conta l’affaire.
Mercy de moy, luy dit la Mere,
Tu mangeras mon fils ? L’ay-je fait à dessein
Qu’il assouvisse un jour ta faim ?
On assomma la pauvre beste.
Un manant luy coupa le pied droit et la teste.
Le Seigneur du Village à sa porte les mit ;
Et ce dicton Picard à l’entour fut écrit :
Biaux chires leups n’écoutez mie
Mere tenchent chen fieux qui crie.