(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — II. Le Berger et la Mer. » p. 207
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — II. Le Berger et la Mer. » p. 207

II.

Le Berger et la Mer.

Du rapport d’un troupeau dont il vivoit sans soins
Se contenta long-temps un voisin d’Amphitrite.
Si sa fortune estoit petite,
Elle estoit seure tout au moins.
A la fin les tresors déchargez sur la plage,
Le tenterent si bien qu’il vendit son troupeau,
Trafiqua de l’argent, le mit entier sur l’eau ;
Cet argent perit par naufrage.
Son maistre fut reduit à garder les Brebis ;
Non plus Berger en chef comme il estoit jadis,
Quand ses propres Moutons paissoient sur le rivage ;
Celuy qui s’estoit veu Coridon ou Tircis,
Fut Pierrot et rien davantage.
Au bout de quelque temps il fit quelques profits ;
Racheta des bestes à laine ;
Et comme un jour les vents retenant leur haleine,
Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux ;
Vous voulez de l’argent, ô Mesdames les Eaux,
Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelqu’autre :
Ma foy vous n’aurez pas le nostre.

Cecy n’est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la verité
Pour montrer par experience,
Qu’un sou quand il est assuré,
Vaut mieux que cinq en esperance :
Qu’il se faut contenter de sa condition ;
Qu’aux conseils de la Mer et de l’Ambition
Nous devons fermer les oreilles.
Pour un qui s’en loüera, dix mille s’en plaindront.
La Mer promet monts et merveilles ;
Fiez-vous-y, les vents et les voleurs viendront.