(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — XVIII. Le Chat et un vieux Rat. » p. 79511
/ 1093
(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — XVIII. Le Chat et un vieux Rat. » p. 79511

XVIII.

Le Chat et un vieux Rat.

J’ay lû chez un conteur de Fables,

Qu’un second Rodilard, l’Alexandre des Chats,

L’Attila, le fleau des Rats,

Rendoit ces derniers miserables.

J’ay lû, dis-je, en certain Auteur,

Que ce Chat exterminateur,

Vray Cerbere, estoit craint une lieuë à la ronde ;

Il vouloit de Souris dépeupler tout le monde.

Les planches qu’on suspend sur un leger appuy,

La mort aux Rats, les Souricieres,

N’estoient que jeux au prix de luy.

Comme il void que dans leurs tanieres

Les souris estoient prisonnieres ;

Qu’elles n’osoient sortir ; qu’il avoit beau chercher ;

Le galand fait le mort ; et du haut d’un plancher

Se pend la teste en bas. La beste scelerate

A de certains cordons se tenoit par la pate.

Le peuple des Souris croit que c’est châtiment ;

Qu’il a fait un larcin de rost ou de fromage,

Egratigné quelqu’un, causé quelque dommage :

Enfin qu’on a pendu le mauvais garnement.

Toutes, dis-je, unanimement

Se promettent de rire à son enterrement ;

Mettent le nez à l’air, montrent un peu la teste ;

Puis rentrent dans leurs nids à rats ;

Puis ressortant font quatre pas ;

Puis enfin se mettent en queste.

Mais voicy bien une autre feste.

Le pendu ressuscite ; et sur ses pieds tombant

Attrape les plus paresseuses.

Nous en sçavons plus d’un, dit-il en les gobant :

C’est tour de vieille guerre ; et vos cavernes creuses

Ne vous sauveront pas ; je vous en avertis ;

Vous viendrez toutes au logis.

Il prophetisoit vray ; nostre maistre Mitis

Pour la seconde fois les trompe et les affine ;

Blanchit sa robe, et s’enfarine ;

Et de la sorte déguisé

Se niche et se blotit dans une huche ouverte :

Ce fut à luy bien avisé :

La gent trote-menu s’en vient chercher sa perte.

Un Rat sans plus s’abstient d’aller flairer autour.

C’estoit un vieux routier ; il sçavoit plus d’un tour ;

Mesme il avoit perdu sa queuë à la bataille.

Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,

S’écria-t-il de loin au General des Chats.

Je soupçonne dessous encor quelque machine.

Rien ne te sert d’estre farine ;

Car quand tu serois sac je n’approcherois pas.

C’estoit bien dit à luy ; j’approuve sa prudence.

Il estoit experimenté ;

Et sçavoit que la méfiance

Est mere de la seureté.