(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — VII. L’Yvrogne et sa femme. » p. 246
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — VII. L’Yvrogne et sa femme. » p. 246

VII.

L’Yvrogne et sa femme.

Chacun a son défaut où toûjours il revient :

Honte ny peur n’y remedie.

Sur ce propos d’un conte il me souvient :

Je ne dis rien que je n’appuye

De quelque exemple. Un suppost de Bacchus

Alteroit sa santé, son esprit, et sa bourse.

Telles gens n’ont pas fait la moitié de leur course,

Qu’ils sont au bout de leurs écus.

Un jour que celui-cy plein du jus de la treille,

Avoit laissé ses sens au fond d’une bouteille,

Sa femme l’enferma dans un certain tombeau.

Là les vapeurs du vin nouveau

Cuverent à loisir. A son réveil il treuve

L’attirail de la mort à l’entour de son corps,

Un luminaire, un drap des morts.

Oh ! dit-il, qu’est-cecy ? ma femme est-elle veuve ?

Là-dessus son épouse en habit d’Alecton,

Masquée, et de sa voix contrefaisant le ton,

Vient au prétendu mort ; approche de sa biere ;

Luy presente un chaudeau propre pour Lucifer.

L’Epoux alors ne doute en aucune maniere

Qu’il ne soit citoyen d’enfer.

Quelle personne es-tu ? dit-il à ce phantosme.

La celeriere du Royaume

De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger

A ceux qu’enclost la tombe noire.

Le Mary repart sans songer ;

Tu ne leur portes point à boire ?