(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — IV. Les Grenoüilles qui demandent un Roy. » p. 44
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — IV. Les Grenoüilles qui demandent un Roy. » p. 44

IV.

Les Grenoüilles qui demandent un Roy.

Les Grenoüilles se lassant

De l’estat Democratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soûmit au pouvoir Monarchique.

Il leur tomba du Ciel un Roy tout pacifique :

Ce Roy fit toutefois un tel bruit en tombant,

Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,

S’alla cacher sous les eaux,

Dans les joncs, dans les roseaux,

Dans les trous du marécage,

Sans oser de long-temps regarder au visage

Celuy qu’elles croyoient estre un geant nouveau ;

Or c’estoit un soliveau,

De qui la gravité fit peur à la premiere,

Qui de le voir s’avanturant

Osa bien quitter sa taniere.

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la suivit, une autre en fit autant,

Il en vint une fourmilliere ;

Et leur troupe à la fin se rendit familiere

Jusqu’à sauter sur l’épaule du Roy.

Le bon Sire le souffre, et se tient toûjours coy.

Jupin en a bien-tost la cervelle rompuë.

Donnez-nous, dit ce peuple, un Roy qui se remuë.

Le Monarque des Dieux leur envoye une Gruë,

Qui les croque, qui les tuë,

Qui les gobe à son plaisir ;

Et Grenoüilles de se plaindre ;

Et Jupin de leur dire : Et quoy ! vostre desir

A ses loix croit-il nous astraindre ?

Vous avez dû premierement

Garder vostre Gouvernement ;

Mais ne l’ayant pas fait, il vous devoit suffire

Que vostre premier Roy fust debonnaire et doux :

De celuy-cy contentez-vous,

De peur d’en rencontrer un pire.