(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — II. Les Membres et l’Estomach. » p. 130
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — II. Les Membres et l’Estomach. » p. 130

II.

Les Membres et l’Estomach.

Je devois par la Royauté

Avoir commencé mon Ouvrage.

A la voir d’un certain costé,

1Messer Gaster en est l’image.

S’il a quelque besoin, tout le corps s’en ressent.

De travailler pour luy les membres se lassant,

Chacun d’eux resolut de vivre en Gentil-homme,

Sans rien faire, alleguant l’exemple de Gaster.

Il faudroit, disoient-ils, sans nous qu’il vécust d’air.

Nous suons, nous peinons comme bestes de somme :

Et pour qui ? Pour luy seul ; nous n’en profitons pas :

Nostre soin n’aboutit qu’à fournir ses repas.
Chommons, c’est un métier qu’il veut nous faire apprendre.

Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre ;

Les bras d’agir, les jambes de marcher.

Tous dirent à Gaster, qu’il en allast chercher.

Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent ;

Bien-tost les pauvres gens tomberent en langueur :

Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur :

Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent.

Par ce moyen les mutins virent

Que celuy qu’ils croyoient oisif et paresseux,

A l’interest commun contribuoit plus qu’eux.

Cecy peut s’appliquer à la grandeur Royale.

Elle reçoit et donne, et la chose est égale.

Tout travaille pour elle, et reciproquement

Tout tire d’elle l’aliment.

Elle fait subsister l’artisan de ses peines,

Enrichit le Marchand, gage le Magistrat.

Maintient le Laboureur, donne paye au soldat,

Distribuë en cent lieux ses graces souveraines,

Entretient seule tout l’Estat.

Menenius le sceut bien dire.

La Commune s’alloit separer du senat.
Les mécontens disoient qu’il avoit tout l’Empire,

Le pouvoir, les tresors, l’honneur, la dignité ;

Au lieu que tout le mal estoit de leur côté ;

Les tributs, les imposts, les fatigues de guerre.

Le peuple hors des murs estoit déja posté.

La pluspart s’en alloient chercher une autre terre,

Quand Menenius leur fit voir

Qu’ils estoient aux membres semblables ;

Et par cet Apologue insigne entre les Fables,

Les ramena dans leur devoir.