XIV.
Le Lievre et les Grenoüilles.
Un Lievre en son giste songeoit,
(Car que faire en un giste, à moins que l’on ne songe ?)
Dans un profond ennuy ce Lievre se plongeoit :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les gens de naturel peureux
Sont, disoit-il, bien malheureux.
Ils ne sçauroient manger morceau qui leur profite.
Jamais un plaisir pur, toujours assauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M’empesche de dormir, sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Et la peur se corrige-t-elle ?
Je croy mesme qu’en bonne foy
Les hommes ont peur comme moy.
Ainsi raisonnoit nostre Lievre,
Et cependant faisoit le guet.
Il estoit douteux, inquiet :
Un souffle, une ombre, un rien, tout luy donnoit la fiévre.
Le melancolique animal
En rêvant à cette matiere,
Entend un leger bruit : ce luy fut un signal
Pour s’enfuïr devers sa taniere.
Il s’en alla passer sur le bord d’un Estang.
Grenoüilles aussi-tost de sauter dans les ondes,
Grenoüilles de rentrer en leurs grottes profondes.
Oh, dit-il, j’en fais faire autant
Qu’on m’en fait faire ! ma presence
Effraye aussi les gens, je mets l’alarme au camp !
Et d’où me vient cette vaillance ?
Comment des animaux qui tremblent devant moy !
Je suis donc un foudre de guerre.
Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soy.