(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre deuxiéme. — VIII. L’Aigle et l’Escarbot. » p. 3
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre deuxiéme. — VIII. L’Aigle et l’Escarbot. » p. 3

VIII.

L’Aigle et l’Escarbot.

L’Aigle donnoit la chasse à Maître Jean Lapin,
Qui droit à son terrier s’enfuyoit au plus vîte.
Le trou de l’Escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte
Estoit seur ; mais où mieux ? Jean Lapin s’y blotit.
L’Aigle fondant sur luy nonobstant cet azile,
L’Escarbot intercede et dit :
Princesse des Oyseaux, il vous est fort facile
D’enlever malgré moy ce pauvre malheureux :
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie :
Et puisque Jean Lapin vous demande la vie,
Donnez-la luy de grace, ou l’ôtez à tous deux :
C’est mon voisin, c’est mon compere.
L’Oyseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l’aîle l’Escarbot,
L’étourdit, l’oblige à se taire ;
Enleve Jean Lapin. L’Escarbot indigné
Vole au nid de l’Oyseau, fracasse en son absence
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce esperance :
Pas un seul ne fut épargné.
L’Aigle estant de retour, et voyant ce ménage,
Remplit le Ciel de cris, et pour comble de rage,
Ne sçait sur qui venger le tort qu’elle a souffert.
Elle gemit en vain, sa plainte au vent se perd.
Il falut pour cet an vivre en mere affligée.
L’an suivant elle mit son nid en lieu plus haut.
L’Escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut :
La mort de Jean Lapin derechef est vangée.
Ce second deüil fut tel que l’echo de ces bois
N’en dormit de plus de six mois.
L’Oyseau qui porte Ganimede,
Du Monarque des Dieux enfin implore l’aide ;
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu’en paix
Ils seront dans ce lieu, que pour ses interests
Jupiter se verra contraint de les défendre.
Hardy qui les iroit là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,
Sur la robe du Dieu fit tomber une crote :
Le Dieu la secoüant jetta les œufs à bas.
Quand l’Aigle sçut l’inadvertance,
Elle menaça Jupiter
D’abandonner sa Cour, d’aller vivre au desert :
Avec mainte autre extravagance.
Le pauvre Jupiter se tut.
Devant son Tribunal l’Escarbot comparut,
Fit sa plainte, et conta l’affaire.
On fit entendre à l’Aigle enfin qu’elle avoit tort.
Mais les deux ennemis ne voulant point d’accord,
Le Monarque des Dieux s’avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l’Aigle fait l’amour,
En une autre saison, quand la race Escarbote
Est en quartier d’hyver, et comme la Marmote
Se cache et ne voit point le jour.