(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XXII. Le Chesne et le Rozeau. » p. 70
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XXII. Le Chesne et le Rozeau. » p. 70

XXII.

Le Chesne et le Rozeau.

Le Chesne un jour dit au Rozeau :

Vous avez bien sujet d’accuser la Nature.

Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.

Le moindre vent qui d’aventure

Fait rider la face de l’eau

Vous oblige à baisser la teste :

Cependant que mon front au Caucase pareil,

Non content d’arrester les rayons du soleil,

Brave l’effort de la tempeste.

Tout vous est Aquilon ; tout me semble Zephir.

Encor si vous naissiez à l’abry du feüillage

Dont je couvre le voisinage ;

Vous n’auriez pas tant à souffrir ;

Je vous defendrois de l’orage :

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des Royaumes du vent.

La Nature envers vous me semble bien injuste.
Vostre compassion, luy répondit l’Arbuste,

Part d’un bon naturel ; mais quittez ce soucy.

Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’icy

Contre leurs coups épouvantables

Resisté sans courber le dos :

Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots,

Du bout de l’orizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfans

Que le Nort eust porté jusques-là dans ses flancs.

L’Arbre tient bon, le Roseau plie ;

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu’il déracine

Celuy de qui la teste au Ciel estoit voisine,

Et dont les pieds touchoient à l’Empire des Morts.