(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XVIII. Le Renard et la Cicogne. » p. 426
/ 1093
(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XVIII. Le Renard et la Cicogne. » p. 426

XVIII.

Le Renard et la Cicogne.

Compere le Renard se mit un jour en frais,

Et retint à disner commere la Cicogne.

Le régal fut petit, et sans beaucoup d’apprests ;

Le galand pour toute besogne

Avoit un broüet clair (il vivoit chichement.)

Ce broüet fut par luy servy sur une assiette :

La Cicogne au long bec n’en put attraper miette ;

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se vanger de cette tromperie,

A quelque temps de là la Cicogne le prie :

Volontiers, luy dit-il, car avec mes amis

Je ne fais point ceremonie.

A l’heure dite il courut au logis

De la Cicogne son hôtesse,

Loüa trés-fort la politesse,

Trouva le disner cuit à point.

Bon appetit sur tout ; Renards n’en manquent point.

Il se rejoüissoit à l’odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu’il croyoit friande.

On servit pour l’embarrasser

En un vase à long col, et d’étroite embouchure.

Le bec de la Cicogne y pouvoit bien passer,

Mais le museau du Sire estoit d’autre mesure.

Il luy falut à jeun retourner au logis ;

Honteux comme un Renard qu’une Poule auroit pris,

Serrant la queue, et portant bas l’oreille.

Trompeurs, c’est pour vous que j’écris,

Attendez-vous à la pareille.