(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XIV. Simonide préservé par les Dieux. » p. 522
/ 1093
(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XIV. Simonide préservé par les Dieux. » p. 522

XIV.

Simonide préservé par les Dieux.

On ne peut trop loüer trois sortes de personnes ;

Les Dieux, sa Maistresse, et son Roy.

Malherbe le disoit : j’y souscris quant à moy :

Ce sont maximes toujours bonnes.

La loüange chatoüille, et gagne les esprits.

Les faveurs d’une belle en sont souvent le prix.

Voyons comme les Dieux l’ont quelquefois payée.

Simonide avoit entrepris

L’éloge d’un Athlete ; et la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de recits tout nuds.

Les parens de l’Athlete estoient gens inconnus,

Son pere un bon Bourgeois ; luy sans autre merite ;

Matiere infertile et petite.

Le Poëte d’abord parla de son Heros.

Aprés en avoir dit ce qu’il en pouvoit dire ;

Il se jette à costé ; se met sur le propos

De Castor et Pollux ; ne manque pas d’ecrire

Que leur exemple estoit aux luteurs glorieux ;

Eleve leurs combats, specifiant les lieux

Où ces freres s’estoient signalez davantage.

Enfin l’éloge de ces Dieux

Faisoit les deux tiers de l’ouvrage.

L’Athlete avoit promis d’en payer un talent :

Mais quand il le vid, le galand

N’en donna que le tiers, et dit fort franchement

Que Castor et Pollux acquitassent le reste.

Faites-vous contenter par ce couple celeste.

Je vous veux traiter cependant.

Venez souper chez moy, nous ferons bonne vie.

Les conviez sont gens choisis,

Mes parens, mes meilleurs amis.

Soyez donc de la compagnie.

Simonide promit. Peut-estre qu’il eut peur

De perdre, outre son dû, le gré de sa loüange.

Il vient, l’on festine, l’on mange.

Chacun estant en belle humeur,

Un domestique accourt, l’avertit qu’à la porte

Deux hommes demandoient à le voir promptement.

Il sort de table, et la cohorte

N’en perd pas un seul coup de dent.

Ces deux hommes estoient les gemeaux de l’éloge.

Tous deux luy rendent grace, et pour prix de ses vers

Ils l’avertissent qu’il déloge,

Et que cette maison va tomber à l’envers.

La prediction fut vraye ;
Un pilier manque ; et le platfonds

Ne trouvant plus rien qui l’estaye,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,

N’en fait pas moins aux Echansons.

Ce ne fut pas le pis ; car pour rendre complete

La vengeance deuë au Poëte,

Une poutre cassa les jambes à l’Athlete,

Et renvoya les conviez

Pour la pluspart estropiez.

La renommée eut soin de publier l’affaire.

Chacun cria miracle ; on doubla le salaire

Que meritoient les vers d’un homme aimé des Dieux.

Il n’estoit fils de bonne mere

Qui les payant à qui mieux mieux,

Pour ses ancestres n’en fist faire.

Je reviens à mon texte, et dis premierement

Qu’on ne sçauroit manquer de loüer largement

Les Dieux et leurs pareils : de plus, que Melpomene

Souvent, sans déroger, trafique de sa peine :

Enfin qu’on doit tenir nostre art en quelque prix.

Les Grands se font honneur dés-lors qu’ils nous font grace.

Jadis l’Olympe et le Parnasse

Estoient freres et bons amis.