XII.
Le Dragon à plusieurs testes, et le Dragon à plusieurs queuës.
Un Envoyé du Grand seigneur
Preferoit, dit l’Histoire, un jour chez l’Empereur
Les forces de son Maistre à celles de l’Empire.
Un Alleman se mit à dire :
Nostre Prince a des dépendans
Qui de leur chef sont si puissans,
Que chacun d’eux pourroit soudoyer une armée.
Le Chiaoux homme de sens
Luy dit : Je sçais par renommée
Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir
D’une avanture étrange, et qui pourtant est vraye.
J’estois en un lieu seur, lors que je vis passer
Les cent testes d’une Hydre au travers d’une haye.
Mon sang commence à se glacer,
Et je crois qu’à moins on s’effraye.
Je n’en eus toutefois que la peur sans le mal.
Jamais le corps de l’animal
Ne pût venir vers moy, ni trouver d’ouverture.
Je révais à cette avanture,
Quand un autre Dragon qui n’avoit qu’un seul chef,
Et bien plus d’une queuë à passer se presente.
Me voilà saisi derechef
D’étonnement et d’épouvante.
Ce chef passe, et le corps, et chaque queuë aussi.
Rien ne les empescha ; l’un fit chemin à l’autre.
Je soûtiens qu’il en est ainsi
De vostre Empereur et du nostre.