(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — V. Le Loup et le Chien. » p. 346
/ 1093
(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — V. Le Loup et le Chien. » p. 346

V.

Le Loup et le Chien.

Un Loup n’avoit que les os et la peau,

Tant les Chiens faisoient bonne garde.

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau ;

Gras, poli, qui s’estoit fourvoyé par mégarde.

L’attaquer, le mettre en quartiers,

Sire Loup l’eust fait volontiers.

Mais il falloit livrer bataille ;

Et le Mâtin estoit de taille

A se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,

Entre en propos, et luy fait compliment

Sur son embonpoint qu’il admire :

Il ne tiendra qu’à vous, beau Sire,

D’estre aussi gras que moy, luy repartit le Chien.

Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont miserables,

Cancres, haires, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car quoy ? Rien d’assuré ; point de franche lipée ;

Tout à la pointe de l’épée.

Suivez-moy ; vous aurez bien un meilleur destin.

Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?

Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens

Portans bastons, et mendians ;

Flater ceux du logis ; à son Maistre complaire ;

Moyennant quoy vostre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons ;

Os de poulets, os de pigeons :

Sans parler de mainte caresse.

Le Loup déjà se forge une felicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant il vid le col du Chien pelé.

Qu’est-ce là, luy dit-il ? Rien. Quoy rien ? Peu de chose.

Mais encor ? Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-estre la cause.

Attaché ? dit le Loup, vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? Pas toujours ; mais qu’importe ?

Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte ;

Et ne voudrois pas mesme à ce prix un tresor.

Cela dit, Maistre Loup s’enfuit, et court encor.