(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — V. Le Renard et le Bouc. » p. 9
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre troisiéme. — V. Le Renard et le Bouc. » p. 9

V.

Le Renard et le Bouc.

Capitaine Renard alloit de compagnie

Avec son amy Bouc des plus haut encornez.

Celuy-cy ne voyoit pas plus loin que son nez.

L’autre estoit passé maistre en fait de tromperie.

La soif les obligea de descendre en un puits.

Là chacun d’eux se desaltere.

Après qu’abondamment tous deux en eurent pris,

Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous compere ?

Ce n’est pas tout de boire ; il faut sortir d’icy.

Leve tes pieds en haut, et tes cornes aussi :

Mets-les contre le mur. Le long de ton eschine

Je grimperay premierement :

Puis sur tes cornes m’élevant,

A l’aide de cette machine

De ce lieu-cy je sortiray,

Aprés quoy je t’en tireray.

Par ma barbe, dit l’autre, il est bon ; et je louë

Les gens bien sensez comme toy.

Je n’aurois jamais quant à moy

Trouvé ce secret, je l’avouë.

Le Renard sort du puits, laisse son compagnon,

Et vous luy fait un beau sermon

Pour l’exhorter à patience.

Si le Ciel t’eust, dit-il, donné par excellence

Autant de jugement que de barbe au menton,

Tu n’aurois pas à la legere

Descendu dans ce puits. Or adieu, j’en suis hors :

Tasche de t’en tirer, et fais tous tes efforts ;

Car pour moy, j’ay certaine affaire,

Qui ne me permet pas d’arrester en chemin.

En toute chose il faut considerer la fin.