
XX.
L’Ours et les deux Compagnons.
Deux compagnons pressez d’argent,
A leur voisin Fourreur vendirent
La peau d’un Ours encor vivant ;
Mais qu’ils tuëroient bien-tost ; du moins à ce qu’ils dirent.
C’estoit le Roy des Ours au compte de ces gens.
Le Marchand à sa peau devoit faire fortune.
Elle garentiroit des froids les plus cuisans.
On en pourroit fourrer plutost deux robes qu’une.
Dindenaut prisoit moins ses Moutons qu’eux leur Ours.
Leur, à leur compte, et non à celui de la Beste.
S’offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, et se mettent en queste,
Trouvent l’Ours qui s’avance, et vient vers eux au trot.
Voilà mes gens frappez comme d’un coup de foudre.
Le marché ne tint pas ; il fallut le resoudre :
D’interests contre l’Ours, on n’en dit pas un mot.
L’un des deux Compagnons grimpe au faiste d’un arbre ;
L’autre, plus froid que n’est un marbre,
Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent ;
Ayant quelque part oüy dire
Que l’Ours s’acharne peu souvent
Sur un corps▶ qui ne vit, ne meut, ny ne respire.
Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau.
Il void ce ◀corps gisant, le croit privé de vie,
Et, de peur de supercherie
Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l’haleine.
C’est, dit-il, un cadavre ; Ostons-nous, car il sent.
A ces mots, l’Ours s’en va dans la forest prochaine.
L’un de nos deux Marchands de son arbre descend,
Court à son compagnon ; luy dit que c’est merveille,
Qu’il n’ait eu seulement que la peur pour tout mal.
Et bien, ajoûta-t-il, la peau de l’animal ?
Mais que t’a-t-il dit à l’oreille ?
Car il s’approchoit de bien prés,
Te retournant avec sa serre.
Il m’a dit qu’il ne faut jamais
Vendre la peau de l’Ours qu’on ne l’ait mis par terre.