(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — XIII. Le Villageois et le Serpent » p. 176
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — XIII. Le Villageois et le Serpent » p. 176

XIII.

Le Villageois et le Serpent

Esope conte qu’un Manant
Charitable autant que peu sage,
Un jour d’Hyver se promenant
A l’entour de son heritage,
Apperçut un Serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le Villageois le prend, l’emporte en sa demeure ;
Et sans considerer quel sera le loyer
D’une action de ce merite,
Il l’étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.
L’Animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l’ame luy revient avecque la colere.
Il leve un peu la teste, et puis siffle aussi-tost,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son pere.
Ingrat, dit le Manant, voilà donc mon salaire ?
Tu mourras. A ces mots, plein d’un juste courroux
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la Beste,
Il fait trois Serpens de deux coups,
Un tronçon, la queuë et la teste.
L’insecte sautillant, cherche à se réunir,
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d’estre charitable :
Mais envers qui, c’est là le poinct.
Quant aux ingrats, il n’en est point
Qui ne meure enfin miserable.