(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — III. Phœbus et Borée. » p. 46
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — III. Phœbus et Borée. » p. 46

III.

Phœbus et Borée.

Borée et le Soleil virent un Voyageur
Qui s’étoit muni par bonheur
Contre le mauvais temps. (On entroit dans l’Automne,
Quand la précaution aux Voyageurs est bonne :
Il pleut ; le Soleil luit ; et l’écharpe d’Iris
Rend ceux qui sortent avertis
Qu’en ces mois le manteau leur est fort necessaire.
Les Latins les nommoient douteux pour cette affaire.)
Nostre homme s’estoit donc à la pluye attendu.
Bon manteau bien doublé ; bonne étoffe bien forte.
Celuy-cy, dit le Vent, prétend avoir pourvû
A tous les accidens ; mais il n’a pas préveu
Que je sçauray souffler de sorte,
Qu’il n’est bouton qui tienne : il faudra, si je veux,
Que le manteau s’en aille au Diable.
L’ébatement pourroit nous en estre agreable :
Vous plaist-il de l’avoir ? Et bien gageons nous deux
(Dit Phœbus) sans tant de paroles,
A qui plustost aura dégarny les épaules
Du Cavalier que nous voyons.
Commencez : Je vous laisse obscurcir mes rayons.
Il n’en falut pas plus. Notre souffleur à gage
Se gorge de vapeurs, s’enfle comme un balon ;
Fait un vacarme de demon ;
Siffle, souffle, tempeste, et brise en son passage
Maint toit qui n’en peut mais, fait perir maint bateau ;
Le tout au sujet du manteau.
Le Cavalier eut soin d’empêcher que l’orage
Ne se pût engouffrer dedans.
Cela le preserva : le vent perdit son temps :
Plus il se tourmentoit, plus l’autre tenoit ferme :
Il eut beau faire agir le colet et les plis.
Si tost qu’il fut au bout du terme
Qu’à la gageure on avoit mis ;
Le Soleil dissipe la nuë :
Recrée, et puis penetre enfin le Cavalier ;
Sous son balandras fait qu’il suë ;
Le contraint de s’en dépoüiller.
Encor n’usa-t-il pas de toute sa puissance.
Plus fait douceur que violence.