(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre cinquiéme. — III. Le petit Poisson et le Pescheur » p. 18
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre cinquiéme. — III. Le petit Poisson et le Pescheur » p. 18

III.

Le petit Poisson et le Pescheur

Petit poisson deviendra grand,
Pourveu que Dieu lui preste vie.
Mais le lascher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie ;
Car de le ratraper il n’est pas trop certain.
Un Carpeau qui n’estoit encore que fretin,
Fut pris par un Pescheur au bord d’une riviere.
Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin ;
Voilà commencement de chere et de festin :
Mettons-le en nostre gibeciere.
Le pauvre Carpillon luy dit en sa maniere :
Que ferez-vous de moy ? Je ne sçaurois fournir
Au plus qu’une demy bouchée,
Laissez-moy Carpe devenir :
Je serai par vous repêchée.
Quelque gros Partisan m’achetera bien cher,
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-estre encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? Croyez-moy ; rien qui vaille.
Rien qui vaille ? Et bien soit, repartit le Pêcheur ;
Poisson mon bel amy, qui faites le Prêcheur,
Vous irez dans la poësle ; et vous avez beau dire,
Dés ce soir on vous fera frire.

Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras :
L’un est seur, l’autre ne l’est pas.