(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XXII. L’Aloüette et ses petits, avec le Maistre d’un champ. » p. 325
/ 86
(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XXII. L’Aloüette et ses petits, avec le Maistre d’un champ. » p. 325

XXII.

L’Aloüette et ses petits, avec le Maistre d’un champ.

Ne t’attens qu’à toy seul, c’est un commun Proverbe.
Voicy comme Esope le mit
En credit.

Les Aloüettes font leur nid
Dans les bleds quand ils sont en herbe :
C’est-à-dire environ le temps
Que tout aime, et que tout pullule dans le monde ;
Monstres marins au fond de l’onde,
Tigres dans les Forests, Aloüettes aux champs.
Une pourtant de ces dernieres
Avoit laissé passer la moitié d’un Printemps
Sans gouster le plaisir des amours printanieres.
A toute force enfin elle se resolut
D’imiter la Nature, et d’estre mere encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore
A la haste ; le tout alla du mieux qu’il put.
Les bleds d’alentour mûrs, avant que la nitée
Se trouvast assez forte encor
Pour voler et prendre l’essor,
De mille soins divers l’Aloüette agitée
S’en va chercher pâture, avertit ses enfans
D’estre toujours au guet et faire sentinelle.
Si le possesseur de ces champs
Vient avecque son fils (comme il viendra) dit-elle,
Ecoutez bien ; selon ce qu’il dira,
Chacun de nous décampera.
Si-tost que l’Aloüette eut quitté sa famille,
Le possesseur du champ vient avecque son fils.
Ces bleds sont mûrs, dit-il, allez chez nos amis
Les prier que chacun apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dés la pointe du jour.
Nostre Aloüette de retour
Trouve en alarme sa couvée.
L’un commence. Il a dit que l’Aurore levée,
L’on fist venir demain ses amis pour l’aider.
S’il n’a dit que cela, repartit l’Aloüette,
Rien ne nous presse encor de changer de retraite :
Mais c’est demain qu’il faut tout de bon écouter.
Cependant soyez gais, voilà dequoy manger.
Eux repus, tout s’endort ; les petits et la mere.
L’aube du jour arrive ; et d’amis point du tout.
L’Aloüette à l’essor, le Maistre s’en vient faire
Sa ronde ainsi qu’à l’ordinaire.
Ces bleds ne devroient pas, dit-il, estre debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux à servir ainsi lents.
Mon fils, allez chez nos parens
Les prier de la mesme chose.
L’épouvante est au nid plus forte que jamais.
Il a dit ses parens, mere, c’est à cette heure…
Non, mes enfans, dormez en paix ;
Ne bougeons de nôtre demeure.
L’Aloüette eut raison, car personne ne vint.
Pour la troisiéme fois le Maistre se souvint
De visiter ses bleds. Nostre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d’autres gens que nous.
Il n’est meilleur ami ni parent que soy-même.
Retenez bien cela, mon fils, et sçavez-vous
Ce qu’il faut faire ? Il faut qu’avec nostre famille
Nous prenions dés demain chacun une faucille ;
C’est là nostre plus court ; et nous acheverons
Nostre moisson quand nous pourrons.
Dés-lors que ce dessein fut sceu de l’Aloüette,
C’est ce coup qu’il est bon de partir, mes enfans.
Et les petits en mesme temps,
Voletans, se culebutans,
Délogerent tous sans trompette.