(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XX. L’Avare qui a perdu son tresor. » p. 225
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XX. L’Avare qui a perdu son tresor. » p. 225

XX.

L’Avare qui a perdu son tresor.

L’Usage seulement fait la possession.
Je demande à ces gens, de qui la passion
Est d’entasser toûjours, mettre somme sur somme,
Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre homme ?
Diogene là-bas est aussi riche qu’eux ;
Et l’Avare icy haut, comme luy vit en gueux.
L’homme au tresor caché qu’Esope nous propose,
Servira d’exemple à la chose.
Ce malheureux attendoit
Pour joüir de son bien une seconde vie ;
Ne possedoit pas l’or, mais l’or le possedoit.
Il avoit dans la terre une somme enfoüie ;
Son cœur avec ; n’ayant autre déduit
Que d’y ruminer jour et nuit,
Et rendre sa chevance à luy-mesme sacrée.
Qu’il allast ou qu’il vinst, qu’il bust ou qu’il mangeast,
On l’eust pris de bien court à moins qu’il ne songeast
A l’endroit où gisoit cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours qu’un Fossoyeur le vid ;
Se douta du dépost, l’enleva sans rien dire.
Nostre Avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs ; il gémit, il soûpire,
Il se tourmente, il se déchire.
Un passant luy demande à quel sujet ses cris.
C’est mon tresor que l’on m’a pris.
Vostre tresor ? Où pris ? Tout joignant cette pierre.
Eh sommes-nous en temps de guerre
Pour l’apporter si loin ? N’eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en votre cabinet,
Que de le changer de demeure ?
Vous auriez pû sans peine y puiser à toute heure.
A toute heure ? Bons Dieux ! Ne tient-il qu’à cela ?
L’argent vient-il comme il s’en va ?
Je n’y touchois jamais. Dites-moy donc de grace,
Reprit l’autre, pourquoy vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent :
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.