XVI.
Le Loup, la Mere et l’Enfant.
La Bique allant remplir sa traînante mammelle,
Et paistre l’herbe nouvelle,
Ferma sa porte au loquet ;
Non sans dire à son Biquet ;
Gardez-vous sur votre vie
D’ouvrir, que l’on ne vous die
Pour enseigne et mot▶ du guet,
Foin du Loup et de sa race.
Le Loup de fortune passe.
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa memoire.
La Bique, comme on peut croire,
N’avoit pas vû le glouton.
Dés qu’il la voit partie, il contrefait son ton ;
Et d’une voix papelarde
Il demande qu’on ouvre, en disant Foin du Loup,
Et croyant entrer tout d’un coup.
Le Biquet soupçonneux par la fente regarde.
Montrez-moy pate blanche, ou je n’ouvriray point,
S’écria-t-il d’abord (pate blanche est un point
Chez les Loups comme on sçait rarement en usage.)
Celuy-cy fort surpris d’entendre ce langage,
Comme il estoit venu s’en retourna chez soy.
Où seroit le Biquet s’il eust ajoûté foy
Nostre Loup avoit entendu ?
Deux seuretez valent mieux qu’une :
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
Ce Loup me remet en memoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris.
Il y perit ; voicy l’histoire.
Un Villageois avoit à l’écart son logis.
Messer Loup attendoit chape-chute à la porte.
Il avoit vû sortir gibier de toute sorte ;
Veaux de lait, Agneaux et Brebis,
Regimens de Dindons, enfin bonne Provende.
Le larron commençoit pourtant à s’ennuyer.
Il entend un enfant crier.
La mere aussi-tost le gourmande,
Le menace, s’il ne se taist,
De le donner au Loup. L’Animal se tient prest ;
Remerciant les Dieux d’une telle avanture.
Quand la mere appaisant sa chere geniture,
Luy dit : Ne criez point ; s’il vient, nous le tuërons.
Qu’est cecy ? s’écria le mangeur de Moutons.
Dire d’un, puis d’un autre ? Est-ce ainsi que l’on traite
Les gens faits comme moy ? Me prend-on pour un sot ?
Que quelque jour ce beau marmot
Vienne au bois cueillir la noisette.
Comme il disoit ces ◀mots, on sort de la maison.
Un chien de cour l’arreste. Epieux et fourches fieres
L’ajustent de toutes manieres.
Que veniez-vous chercher en ce lieu, luy dit-on ?
Aussi-tost il conta l’affaire.
Mercy de moy, luy dit la Mere,
Tu mangeras mon fils ? L’ay-je fait à dessein
Qu’il assouvisse un jour ta faim ?
On assomma la pauvre beste.
Un manant luy coupa le pied droit et la teste.
Le Seigneur du Village à sa porte les mit ;
Et ce dicton Picard à l’entour fut écrit :
Biaux chires leups n’écoutez mie
Mere tenchent chen fieux qui crie.