
VI.
L’Aigle, la Laye, et la Chate.
L’Aigle avoit ses petits au haut d’un arbre creux
La Laye au pied, la Chate entre les deux :
Et sans s’incommoder, moyennant ce partage
Meres et nourrissons faisoient leur tripotage.
La Chate détruisit par sa fourbe l’accord.
Elle grimpa chez l’Aigle, et luy dit : Nôtre mort,
(Au moins de nos enfans, car c’est tout un aux meres)
Ne tardera possible gueres.
Voyez-vous à nos pieds foüir incessament
Cette maudite Laye, et creuser une mine ?
C’est pour déraciner le chesne asseurément,
Et de nos nourrissons attirer la ruine.
L’arbre tombant ils seront devorez :
Qu’ils s’en tiennent pour assurez.
S’il m’en restoit un seul j’adoucirois ma plainte.
Au partir de ce lieu qu’elle remplit de crainte,
La perfide descend tout droit
A l’endroit
Où la Laye estoit en gesine.
Ma bonne amie et ma voisine,
Luy dit-elle tout bas, je vous donne un avis.
L’Aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits :
Obligez-moy de n’en rien dire.
Son couroux tomberoit sur moy.
Dans cette autre famille ayant semé l’effroy,
La Chate en son trou se retire.
L’Aigle n’ose sortir, ny pourvoir aux besoins
De ses petits : La Laye encore moins :
Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins
Ce doit estre celuy d’éviter la famine.
A demeurer chez soy l’une et l’autre s’obstine ;
Pour secourir les siens dedans l’occasion :
L’Oyseau Royal en cas de mine,
La Laye en cas d’irruption.
La faim détruisit tout : il ne resta personne
De la gent Marcassine et de la gent Aiglonne,
Qui n’allast de vie à trépas ;
Grand renfort pour Messieurs les Chats.
Que ne sçait point ourdir une langue traîtresse
Par sa pernicieuse adresse ?
Des malheurs qui sont sortis
De la boëte de Pandore,
Celuy qu’à meilleur droit tout l’Univers abhorre,
C’est la fourbe à mon avis.