(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre deuxiéme. — XVI. Le Corbeau voulant imiter l’Aigle. » p. 2
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre deuxiéme. — XVI. Le Corbeau voulant imiter l’Aigle. » p. 2

XVI.

Le Corbeau voulant imiter l’Aigle.

L’Oyseau de Jupiter enlevant un Mouton,
Un Corbeau témoin de l’affaire,
Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l’heure autant faire.
Il tourne à l’entour du troupeau ;
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau,
Un vray Mouton de sacrifice.
On l’avoit reservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau disoit, en le couvrant des yeux,
Je ne sçay qui fut ta nourrice ;
Mais ton corps me paroist en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.
Sur l’animal beslant, à ces mots, il s’abat.
La Moutonniere creature
Pesoit plus qu’un fromage ; outre que sa toison
Estoit d’une épaisseur extrême,
Et meslée à peu prés de la mesme façon
Que la barbe de Polipheme.
Elle empestra si bien les serres du Corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite ;
Le Berger vient, le prend, l’encage bien et beau ;
Le donne à ses enfans pour servir d’amusette.
Il faut se mesurer, la consequence est nette.
Mal prend aux Volereaux de faire les Voleurs
L’exemple est un dangereux leure.
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands Seigneurs,
Où la Guespe a passé, le Mouscheron demeure.