(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XI. L’homme, et son Image. » p. 
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XI. L’homme, et son Image. » p. 

XI.

L’homme, et son Image.

Pour M. L. D. D. L. R.

Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux,

Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde.

Il accusoit toûjours les miroirs d’estre faux,

Vivant plus que content dans son erreur profonde.

Afin de le guérir, le sort officieux

Presentoit par tout à ses yeux

Les Conseillers muets dont se servent nos Dames ;

Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,

Miroirs aux poches des galands,

Miroirs aux ceintures des femmes.

Que fait nostre Narcisse ? Il se va confiner

Aux lieux les plus cachez qu’il peut s’imaginer,

N’osant plus des miroirs éprouver l’avanture :

Mais un canal formé par une source pure

Se trouve en ces lieux écartez.

Il s’y void, il se fâche ; et ses yeux irritez

Pensent appercevoir une chimere vaine.

Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau.

Mais quoy, le canal est si beau,

Qu’il ne le quitte qu’avec peine.

On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous ; et cette erreur extrême

Est un mal que chacun se plaist d’entretenir.

Nostre ame c’est cet Homme amoureux de luy-mesme.

Tant de Miroirs ce sont les sottises d’autruy ;

Miroirs de nos défauts les Peintres legitimes.

Et quant au Canal, c’est celuy

Que chacun sçait, le Livre des Maximes.