(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — X. Le Loup et l’Agneau. » p. 155
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — X. Le Loup et l’Agneau. » p. 155

X.

Le Loup et l’Agneau.

La raison du plus fort est toûjours la meilleure.

Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Un Agneau se desalteroit

Dans le courant d’une onde pure.

Un Loup survient à jeun qui cherchoit avanture,

Et que la faim en ces lieux attiroit.

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?

Dit cet animal plein de rage :

Tu seras châtié de ta temerité.

Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté

Ne se mette pas en colere ;

Mais plutost qu’elle considere

Que je me vas desalterant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d’elle ;

Et que par consequent en aucune façon

Je ne puis troubler sa boisson.

Tu la troubles, reprit cette beste cruelle,

Et je sçai que de moy tu médis l’an passé.

Comment l’aurois-je fait si je n’estois pas né ?

Reprit l’Agneau, je tete encor ma mere,

Si ce n’est toy, c’est donc ton frere :

Je n’en ay point. C’est donc quelqu’un des tiens :

Car vous ne m’épargnez guéres,

Vous, vos bergers, et vos chiens.

On me l’a dit : il faut que je me vange.

Là-dessus au fond des forests

Le Loup l’emporte, et puis le mange,

Sans autre forme de procés.