FABLE CXV.
De la Chauue-souris, et du Buisson, et du Plongeon.
La Chauve-souris, le Buisson, et le Plongeon, s’associerent ensemble, afin de faire trafic de marchandise. Pour cét effect la Chauve-souris emprunta de l’argent, et le mit dans la Communauté ; le Buisson apporta une robbe avecque soy, et le Plongeon prit de l’or. Apres ces preparatifs, ils se mirent tous sur mer ; où le malheur voulut qu’il survint une si grande tempeste, que le Navire en fut coulé à fonds, et ils se sauverent bien à peine, apres avoir tout perdu. Le Plongeon depuis ce temps-là se tient toujours au bord de la Mer, en attendant qu’elle jette hors son or en quelque endroict du rivage ; La Chauve-souris ne se montre que de nuict, de peur de ses Creanciers ; Et le Buisson s’attache aux robbes des Passants, pour voir s’il ne reconnoistra point la sienne.
Discours sur la cent-quinziesme Fable.
Voicy, ce me semble, une des plus estranges inventions de nostre Autheur, en ce qu’elle est fondée sur le commerce d’une Plante, et de deux Oyseaux. Pour en tirer donc quelque Allegorie, il faut examiner l’un apres l’autre chacun de ces Marchands. Premierement, ce qu’il dit de la Chauve-souris, témoigne un naturel avare : Dequoy semblent faire foy les yeux surveillans, les ongles crochus, et les monstrueuses aisles de cét Animal. Par le Plongeon il represente le Voluptueux, qui donne tout à ses sens, et se lance teste baissée dans des fleuves de delices, dont il est mal-aisé de le tirer. Quant au Buisson, c’est la marque d’une humeur pesante, qui n’estant pas née aux grandes choses, demeure enracinée dans une place, sans estre capable d’aucun mouvement. Or le sujet de ceste Fable est à peu prés celuy-cy. Quand il arrive que dans un corps Politique quelques-uns des Membres sont lâches et endormis, ou plongez dans les delices, et les autres entierement adonnez à leur proffit, il est presque impossible que leur gouvernement soit bon, ny que leurs entreprises réüssissent au gré de la multitude. Car en toute sorte de desseins, pour le moins en ceux qui peuvent conclure dans un Conseil, l’on a besoin principalement de vigilance, de bonne conduitte, et de probité. De vigilance, pour surveiller aux moyens d’agir, et de venir à bout de quelque haute entreprise ; De bonne conduitte, pour ne laisser en arriere aucune industrie de celles qui peuvent faciliter une affaire ; Et de probité, affin que les Ministres n’ayant l’Esprit qu’à des interests mercenaires, ne tournent à leur proffit particulier les advantages qu’ils sont obligez de rapporter au bien du public. Ce fondement supposé, nous avons eu raison de dire, qu’en tous les Estats, où l’administration des affaires est donnée aux Stupides, aux Voluptueux, et aux Avares, il ne se peut faire qu’il n’y arrive du desordre, ou de la ruyne, et que leurs entreprises ne soient aussi malheureuses que celles du Buisson, de la Chauve-souris, et du Plongeon, assemblez pour le mesme commerce.