(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CXII. D’un Malade, et d’un Medecin. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CXII. D’un Malade, et d’un Medecin. »

FABLE CXII.

D’un Malade, et d’un Medecin.

Un Malade enquis par son Medecin de l’estat de sa santé ; « Je brusle », répondit-il, et « suis tout en eau, à force d’avoir sué ». « Voila qui est bien », dit le Medecin, et là dessus il se retira. Le lendemain il le fût encore visiter, et luy demanda comment il s’estoit porté la nuict passée ? « Helas ! », s’escria-t’il d’une voix debile, « peu s’en est falu que je ne sois mort de froid ». « Tant mieux », adjoûta ce beau Docteur, « c’est bon signe ». En suitte de cecy, apres que pour la troisiesme fois il luy eust fait la mesme demande, et que ce pauvre homme luy eust répondu qu’il n’en pouvoit plus, si fort il estoit travaillé d’un flux de ventre ; « C’est vostre santé », continua ce Charlatan. A la fin un de ses amis l’estant allé voir, pour apprendre s’il ne se trouvoit pas mieux que de coustume, « Ah ! mon amy », luy respondit-il, « je me porte tousjours bien, à ce qu’on me dist, et toutesfois je m’en vay mourant ».

Discours sur la cent-douziesme Fable.

Ce qu’Esope dit icy du Medecin, nous le pouvons appliquer à un faux Amy. Car il void bien souvent dans une maladie dangereuse et mortelle, celuy qu’il feinct d’aymer sainement. Il luy trouve le poux émeu de vengeance, ou de haine ; il le cognoist enflammé de passion, ou rafroidy dans l’amour des choses honnestes ; Et toutes-fois au lieu de luy conseiller celles qui luy sont proffitables, il adhere lâchement aux opinions de son Malade, et crainct plustost de le mettre en colere. Tels sont ordinairement ceux qui approchent de la personne des Grands, à qui l’éclat de leur condition, ou l’espoir de la fortune, fait trahir mille fois le jour leur conscience, en leur conseillant des choses illegitimes. De pareille nature sont encore ceux qui voyant leurs Amis malades à l’extremité, n’osent toutesfois leur parler de confession, pource, disent-ils, que la peur redouble l’accez du mal, et que c’est les hazarder que de leur nommer le nom d’un Prestre. Mais telles gents ne considerent pas que c’est bien les hazarder plus grievement, que de les reduire au dernier article, sans les avoir fait souvenir de leur salut. Car alors à peine peuvent ils avoir la force de se repentir vivement de leurs fautes, ny assez de memoire et d’entendement pour s’en confesser. Bannissons donc loing de nous ceste chetive coustume de complaire mal à propos. Chassons de nostre esprit ceste humeur servile, et faisons plus d’estat du proffit de nos amis, que de leurs chagrins. Preferons la verité à la flatterie, et ne nous enquerons pas s’ils agréent ce que nous avons dit, pourveu qu’il leur soit advantageux.