(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CIII. Du Lion, et de la Chévre. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CIII. Du Lion, et de la Chévre. »

FABLE CIII.

Du Lion, et de la Chévre.

Le Lion voyant la Chevre penduë au Buisson sur un haut Rocher, luy conseilloit de descendre à la campagne, pour y brouter le thim, et les saules verds. Mais elle n’en voulut rien faire, disant, qu’encore que ses paroles fussent plausibles, que son intention neantmoins estoit fort mauvaise, et pleine de tromperie.

Discours sur la cent-troisiesme Fable.

Le sens Moral de ceste Fable a esté deux ou trois fois expliqué, à sçavoir qu’il faut s’abstenir du frauduleux conseil des hommes ; dequoy nostre Autheur nous fait adviser par la resistance de cette Chevre, qui bouche l’oreille à la persuasion du Lion son ennemy, bien qu’en apparence ses Discours soient profitables, et plausibles. En quoy, certes, il me semble qu’elle considere judicieusement quel est le Conseiller, apres avoir trouvé quel est le conseil. Le voyant donc armé d’ongles crochus, d’un poil furieusement herissé, de dents épouvantables, de membres forts ; et sçachant d’ailleurs qu’il est ennemy de toute sa race, elle a beaucoup de raison de se resoudre à ne point aller où il l’invite, et à boucher l’oreille à ses persuasions. Cecy semble contenir le mesme sens mystique, que la Fable d’Ulysse, qui pour n’ouyr les chants des Syrenes, se boucha les oreilles de cire, de peur que leurs charmes nuisibles ne vinssent à se glisser par l’ouye jusques au fonds de son ame, et ne l’empoisonnassent secrettement. Elle est toutesfois plus proprement appliquée à la Volupté, qui fait coustume de plonger les hommes dans les delices, c’est à dire de les engager dans des labyrinthes, d’où il leur est impossible de se tirer. Ceste Fable nous apprend encore à nous défier des ennemis découverts, qui ont cela de commun avecque les Voluptez de nous attirer puissamment, et de nous combler, comme elles, de honte et de confusion. Il n’est nullement besoin de nous arréter à de plus grandes instructions touchant ceste nature d’évenements. Elles sont toutes comprises dessous l’exemple de ceste Chévre, qui nous apprend à ne nous laisser jamais persuader aux cajoleries de nos Ennemis. Il ne faut que cela pour nous mettre à couvert de leurs embusches : C’est un moyen infaillible de les éviter, que de les bien cognoistre, et de voir les interests qui les portent apparemment à la complaisance qu’ils nous témoignent. Mais leurs mauvais desseins nous peuvent nuire mal-aisément, pour peu que nous ayons de prudence conjoincte à nostre soupçon. Aussi est-ce pour cela qu’on a fait passer pour maxime ce commun dire ; Que la Défiance est mere de la Seureté.