(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CII. De l’Enfant, et du Larron. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CII. De l’Enfant, et du Larron. »

FABLE CII.

De l’Enfant, et du Larron.

Un Enfant pleuroit assis prés d’un puits, lors qu’il y survint un Larron, qui luy en ayant demandé la cause : « Je pleure », dit-il, « pource que ma Cruche, qui estoit d’or, vient de tomber dans le puits, la corde s’estant rompuë ». A ces mots le Larron se dépoüilla, et se jetta dedans pour la chercher. Mais comme il eust bien foüillé, voyant qu’il avoit perdu son temps, il remonta en haut, où il ne trouva ny sa robe, ny l’Enfant, qui l’avoit subtilement emportée.

Discours sur la cent-deuxiesme Fable.

L’on pourroit adjouster à ceste Fable deux belles Moralitez, l’une que les Trompeurs sont d’ordinaire trompez eux-mesmes, et l’autre que dés nôtre Enfance nous sommes quelquesfois rusez et méchants. Mais pource que nous avons des-jà traitté plusieurs fois de la premiere, je me contenteray de dire un mot de la seconde. La malice des Enfants se verifie, et par la journaliere experience que nous en faisons, et par une raison naturelle, qui est tirée de la facilité de cét âge. Car l’Enfance estant susceptible de quelque impression que ce soit, et comme disent les Philosophes, une table rase qui reçoit toutes les especes qu’on luy presente, il est hors de doute que les mauvais exemples y sont imprimez plûtost que les bons, pource que le Vice est de soy mesme plus facilement mis en praticque, que la Vertu. S’il advient doncques au Pere, ou bien à la Mere, de commettre une action vicieuse devant leur Enfant, asseurément il l’imitera bien-tost apres, et ce d’autant plus aisément, qu’il ne sçaura pas faire la difference du bien et du mal, et ne sera point détourné par l’imagination de pecher, qui sert quelquesfois de divertissement aux hommes faits. Au contraire, suivant la petite portée de son esprit, il estimera la chose bonne, pource qu’il la verra faire à ses parents. Or que cela ne soit vray, nous en voyons tous les jours une sensible experience. Car à peine avons-nous atteint l’âge de cinq ans, que nous commençons dés là de conçevoir des haynes, et des vengeances estranges. Les premieres paroles que nous disons sont des ordures, et mesme des blasphemes. L’on nous permet quelquesfois de jurer le nom de Dieu avec des begayements enfantins, et d’offrir à un Ennemy les premices de nos pensées. O lasche et honteuse negligence des Peres ! ô Parents ennemis, plustost que Parents ! Comment pouvez vous pretendre à sanctifier vostre fils, si vous permettez qu’il se soüille de si bonne heure de vos ordures ? Comment croyez-vous qu’il soit benit de Dieu, si vous en faites un vase de profanation ? Quoy ? les petits oyseaux chanteront selon leur possible les loüanges de l’Eternel : les Cieux annonceront sa gloire, les Quadrupedes et les Reptiles l’adoreront, et vous serez les seuls, ô dénaturez, qui permettrez à vos Enfans de prononcer des termes dissolus, et de se rendre méchants plustost qu’ils ne seront hommes ? Est ce ainsi que vous violez le Temple de Dieu ? Est ce comme cela que vous consacrez ce Microcosme au pied de son Autheur ? Pourquoy le faisiez vous naistre, si vous vouliez qu’il perist ? Ou pourquoy ne l’instruisez vous, si vous le voulez sauver ? Vous couste t’il tant de luy donner une bonne nourriture ? Estes vous si chiches d’un bon exemple ? Si vous estes gents de bien, vous aurez de la facilité à le rendre semblable à vous. Si vous estes Vicieux, et que vostre interest ne vous touche point, devenés sages pour l’amour de vôtre fils, affin que l’iniquité du Pere ne passe sur les Enfans. Mais supposons que vous soyez hors d’espoir de vous reduire à la Vertu, et que ce soit une chose perduë que vostre ame, encore n’estes-vous pas si meschants que de vouloir perdre vostre fils avecque vous ? Dieu l’a creé capable d’une felicité dont vous ne le devriez pas destourner. C’est un Enfant que vous avez mis au monde ; Il n’est donc pas raisonnable que vous en desiriez la perte ; autrement vous adjousteriez crime sur crime, et vous dépoüilleriez quant et quant de vostre nature. Mais vous me respondrez possible, que vostre fils n’estant pas en âge de discretion, n’est pas en âge de mal faire aussi, et par consequent que son innocente gayeté, ny ses jurements, ny ses ordures, ne sont pas coûpables devant Dieu. Je vous advouë qu’il est Innocent, mais il ne s’ensuit pas pour cela que vous le soyez. Ce n’est point un peché que ses paroles, mais vostre negligence en est un extrême. Vous luy laissez prendre une habitude, dont il ne luy sera pas aisé de se destourner : Elle le plongera dans les Vices, dont l’âge ne l’excusera plus à l’advenir. Alors vos Enfans vous maudiront, et vous les maudirez aussi. Ils souhaiteront mille fois de n’estre point nez de vous, qui de vôtre costé vous vous repentirez de les avoir engendrez. Mais pendant que je m’égare à vous tancer, je ne m’apperçois pas, que je perds de veuë ce petit garçon, et qu’il est des-jà trop esloigné, pour ouyr les remonstrances que je luy voulois faire à son tour, pour graver en son ame le service de Dieu, et la crainte de ses Jugements.