(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XCVIII. Des Taureaux, et du Lion. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XCVIII. Des Taureaux, et du Lion. »

FABLE XCVIII.

Des Taureaux, et du Lion.

Quatre Taureaux firent une ligue pour leur commune conservation, et resolurent entr’eux de ne s’abandonner jamais en quelque danger qu’ils fussent. L’effet en fût tel que le Lion qui les voyoit paistre, n’osa jamais les attaquer ensemble, quelque grande faim qu’il eust. Pour en venir donc à bout, il trouva moyen, premierement de les separer par belles paroles, puis d’attaquer chacun d’eux à part ; si bien que de cette façon il luy fût aisé de les mettre tous en pieces l’un apres l’autre.

Discours sur la nonante-huictiesme Fable.

Quant à l’union de ces quatre Taureaux, qui assemblent leur force pour resister au Lion, et sont invincibles par le moyen de leur bonne intelligence, elle contient une Allegorie assez commune, et que nous avons des-ja veuë plusieurs fois dans les Discours precedents. Je ne m’arresteray donc pas d’avantage sur ceste matiere, pource que je croirois estre ennuyeux au Lecteur, quand mesme j’alleguerois des choses tout à fait nouvelles et inouyes. Car non seulement les paroles et les pensées qui n’ont rien de different, déplaisent en la redite, mais encore les moins difficiles se rebuttent par la veuë d’un mesme sujet qui se presente, et s’imaginent n’en avoir pas esté suffisamment instruicts. Laissons doncques en arriere une verité si manifeste, apres avoir donné cét Eloge à la Concorde ; Qu’elle est entierement bien-seante et vertueuse, qu’elle establit les maisons, augmente et affermit les Empires, repousse les forces estrangeres, maintient les intestines, rend les hommes sociables, et perfectionne les Arts ; bref, qu’elle est le plus desirable, bien qui se puisse rencontrer parmy les mortels.