(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXXVII. De deux Escrevices. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXXVII. De deux Escrevices. »

FABLE LXXXVII.

De deux Escrevices.

L’Escrevice ayant voulu remonstrer à sa fille, quelle n’allast point à reculons : « Ma mere », luy respondit-elle, « monstre moy le chemin, et je te suivray ».

Discours sur la huictante-septiesme Fable.

Comment peuvent esperer les Peres de corriger utilement leurs Enfans d’un peché où ils sont eux-mesmes sujets ? Quelle apparence y a-t’il qu’ils leur fassent prendre le bon chemin, s’ils ne les y mettent par leur exemple ? N’est-ce pas une espece de brutalité, ou de folie, de croire que leurs conseils seront authorisez par la Jeunesse, pendant qu’elle leur verra faire autrement, et qu’ils fuyront la praticque de leurs remonstrances, comme si c’étoit quelque mortelle action ? Certes, il n’y a rien de si éloquent que le bon exemple. Les belles paroles de Ciceron, les subtils passages de Seneque : les hautes conceptions de Platon : la grace majestueuse de Plutarque ; et pour le dire en un mot, toutes les persuasions des Anciens et des Modernes, ne sont pas si capables de toucher un cœur envenimé, que l’object d’une vie vertueuse. Les raisons theoriques cedent en force aux experimentales : l’on ne sçauroit tant donner de foy aux paroles, qu’à la chose mesme. La presence d’un homme de bien a je ne sçay quelle force sur les volontez, qui ne leur permet pas de se dégager aisément de ses conseils, et fait passer des charmes inévitables jusqu’au profond de l’ame de ceux qui l’écoutent. Ce n’est pas servir de guide, que de parler tant seulement ; Il faut prendre par la main celuy qu’on veut addresser, et le conduire, en marchant devant, dans le chemin de la probité. Car il est si penible en ses commencements, qu’un homme tout seul en peut estre diverty facilement. Que si toutes ces veritez se rencontrent en la personne des Amis qui essayent à nous exhorter ; à plus forte raison se trouveront-elles en la remonstrance d’un Pere à son fils. Car comme l’intention de la Nature est, que le semblable produise son semblable ; aussi a-t’elle imprimé certains desirs d’imitation du fils envers le Pere, qui le rend docile, et susceptible de tout ce qu’il luy void faire. Ce que nous font remarquer visiblement les paroles mesme, l’accent, les reparties, et les actions exterieures de la personne : d’où il est aisé d’inferer, que les mœurs ont aussi de la ressemblance. Cela estant, et le Pere et la Mere sont doublement coûpables, quand ils donnent un mauvais exemple à leurs Enfans, pource qu’ils jettent alors les fondements de leur future ruyne, et pervertissent leur innocence en leurs plus tendres années, ce qui est une chose du tout barbare et dénaturée.