(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXXV. De la Nourrice, et du Loup. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXXV. De la Nourrice, et du Loup. »

FABLE LXXXV.

De la Nourrice, et du Loup.

Vne Nourrice voyant pleurer son Enfant, le menaça de le faire manger au Loup, s’il ne s’appaisoit. Elle eust à peine proferé ces mots, que le Loup qui les ouyst, esperant de trouver quelque butin, s’approcha de la porte du logis ; Mais il fût contraint de s’en retourner au bois à jeun, pource qu’à la fin l’Enfant s’endormit. La Louve le voyant donc de retour, luy demanda où estoit la proye. « Il n’y en a point », respondit le Loup extrémement triste, « car la Nourrice qui promettoit de me livrer son Enfant s’il pleuroit, ne m’a donné que des paroles, et m’a trompé meschamment ».

Discours sur la huictante-cinquiesme Fable.

Il semble qu’Esope ait voulu dire par ceste Fable, qu’il ne faut point se fier aux paroles d’une femme. Ce qui peut bien estre vray, s’il en faut croire divers Autheurs, et particulierement les Poëtes. Les uns la comparent à la Mer, à cause de son humeur variable ; les autres, aux vents et aux orages. Pour cela mesme ils luy donnent la Lune pour modelle, et veulent qu’elle en tienne plus que d’aucun Astre. Or soit qu’ils ne la croyent capable, ny de verité, ny de resolution, tant y a qu’ils en parlent ainsi, ou par caprice, ou pour en avoir esté mal traittez. Mais parmy ceux qui font mestier de se plaindre de leur humeur, il n’y en a point en la bouche de qui ces injures soient plus ordinaires, qu’en celle des Amants. Ce sont eux, qui les premiers ont osé murmurer contre ce qu’ils adorent, et qui ont lasché la bride à je ne sçay quelle colere meslée de tristesse et d’amour ensemble. Ils font comme cét Avare dont parle nostre Esope en la septante-quatriesme Fable, qui outragea son Idole, pource qu’il n’en estoit pas satisfait. Eux tout de mesme ont accoûtumé de tourmenter leurs Déesses, quand elles retirent leurs faveurs, ou s’il leur arrive de les accorder avec trop de retenuë et de circonspection. De là vient premierement le blâme universel, qu’on leur donne d’estre infideles, et coupables d’inconstance, comme le remarque un des plus fameux Poëtes de l’Antiquité.

Tu peux bien sous l’espoir d’vne conduite sage
Au milieu de la Mer hazarder ton vaisseau ;
Mais non pas t’exposer à l’amoureux orage,
Car l’esprit d’une fille est plus leger que l’eau.

A quoy se rapportent encore ces autres vers :

La femme ne vaut rien pour soy, ny pour personne,
Et si quelqu’une au monde est bonne aucunement,
Je ne sçay quant à moy par quel enchantement,
Une chose mauvaise a pû devenir bonne.

Tels et semblables sont les discours qu’on a tenus contre les femmes, et que l’on tient encore aujourd’huy, sur le débris de leur affection, ou sur la dureté de leur resistance. Ainsi se pouvoit on plaindre d’une Laïs, d’une Lamie, d’une Flore, et d’une infinité d’autres, qui faisoient mestier d’engloutir les possessions de leurs Amants, et de les abandonner, quand un plus riche ou plus beau se presentoit. Anacreon, Horace, et Martial, ne sont remplis que de ces reproches ; Et Ovide mesme en ses Amours, écrit bien souvent contre la legereté de ses Maistresses. Mais ayant dessein de parler d’elles en Philosophe, et non pas en Poëte, ny en homme enflammé d’Amour et de colere, je ne leur donneray point des loüanges si excessives, ny des blâmes si desobligeants ; et diray seulement, que supposé qu’en tout le genre humain l’Ame soit égale, et que neantmoins elle produise ses effets differamment, selon les corps où elle est infuse, et les organes qu’elle y rencontre, il arrive presque tousjours que l’homme surpasse la femme, et en grandeur de courage, et en force de jugement. Cela procede en partie de ce que son cerveau est plus propre à raisonner, comme son sang est plus actif, plus masle, et plus vigoureux. Bref, c’est l’accomplissement de la Nature humaine que le Masle, au lieu que la femme luy doit ceder, soit quant aux conditions de l’esprit, soit pour la force du corps. Ce qui n’est pas seulement ordinaire en nostre espece, mais en celle de tous les animaux. La raison en est fondée sur ce que le temperamment des femmes, comme estant créé pour recevoir, ne contient pas tant de vigueur ny d’activeté ; au contraire il est détrempé de beaucoup d’humide, et par consequent plus mol que la constitution de l’homme. Ce que tesmoignent assez leurs évacuations ordinaires, par qui elles se deschargent d’un sang malin, et provenant d’une complexion trop creuë et trop flatueuse. Le mesme paroist encore en la longueur de leurs cheveux, que la Nature ne boucle point comme aux hommes, marque infaillible de moiteur, et non de vivacité. Les tettons mesmes, s’avalent par l’âge, et sont composez d’une chair mollasse et glandugineuse, prouvent infailliblement cette humidité, qui se rencontrant avec excez dans le temperament des femmes, semble alentir de necessité leur chaleur naturelle, et les rendre moins capables que les hommes de toutes les bonnes choses. Je ne veux pas toutesfois conclure cela si generalement, que je n’en excepte plusieurs de leur sexe, qui surpassent de bien loing les hommes mediocres, et égalent quelquesfois ceux qu’on estime les plus illustres, non pas seulement en esprit et en sçavoir, mais encore en ce qui regarde la force du cœur, et le genereux mespris de la mort. Tesmoin une Timoclée, une Judith, une Zenobie, une Cleopatre, et pour dire beaucoup en une seule parole, tesmoin la nation entiere des Amazones. Elles me pardonneront neantmoins si en matiere de constance et de fermeté, je les treuve un peu suspectes, et de beaucoup inferieures aux hommes. Car quant aux contes que l’on nous fait de Thisbé, de Philis, de Didon, et de quelques autres, ce sont des choses que je tiendray tousjours pour estre sujettes à caution, jusqu’à ce qu’on m’en ait donné des asseurances, et croiray cependant que ce n’est pas estre advisé d’adjouster foy aux paroles d’une femme, si on ne la connoist bien, ce qui me semble tresdifficile.