FABLE LXXXI.
Du Dieu Mercure, et d’un Charpentier.
Un Charpentier coupoit du bois prés d’une riviere, consacrée au Dieu Mercure, quand il arriva par mégarde, que sa coignée tomba dedans. Alors bien affligé de cét accident, il s’assid sur le bord du fleuve, pour se consoler de cette perte. Durant ces choses, voila que Mercure émeu de pitié luy apparut, et s’enquit de la cause de sa plaincte, qu’il n’eust pas plustost cognuë que luy monstrant une coignée d’or, il luy demanda si c’estoit la sienne : Le pauvre homme ayant répondu franchement que ce ne l’étoit pas, Mercure luy en apporta une d’argent, que ce bon homme confessa pareillement n’estre pas à luy. A la fin le mesme Dieu luy en fit voir une emmanchée de bois, que le Charpentier recognût pour celle qu’il avoit perduë. Alors Mercure jugeant de sa probité par une si libre declaration, les luy donna toutes trois. Le Charpentier extrémement aise d’une si bonne fortune, s’en alla trouver ses compagnons, et leur raconta par le menu tout ce qui s’estoit passé. Ce recit fit prendre fantaisie à l’un d’entr’eux d’esprouver, s’il estoit possible, une pareille avanture. Il s’en alla donc pour cét effet prés de la mesme riviere, et jetta de son bon gré sa coignée en l’eau, puis il s’assid sur le bord, et fit semblant de pleurer. Mercure accourut incontinent avec une coignée d’or, et cognoissant l’hypocrisie de ce galant, luy demanda si c’estoit la sienne ? « C’est elle mesme », luy respondit l’Imposteur. Mais ce Dieu le voulant punir de son impudence, et de son mensonge, ne luy donna, ny la coignée d’or, ny celle que cet Artificieux avoit tout exprés jettée dans la riviere.
Discours sur la huictante-uniesme
Fable.
Si mon dessein estoit d’examiner les Fables d’Esope à la maniere des Humanistes, je m’arresterois quelque temps à m’enquerir, pourquoy nostre Autheur fait invoquer Mercure plustost qu’une autre Divinité à ce pauvre Charpentier, pour le recouvrement de sa coignée, et à quelle occasion les Anciens tenoient ce Dieu pour tutelaire des Artisants. Mais c’est à quoy je ne suis pas d’advis de m’arrester, pource que cela n’est ny à propos, ny de mon institution. Je me contenteray doncques de recueillir icy quelque chose, pour l’instruction des mœurs, et diray premierement, que par l’excessive douleur de ce Charpentier, il nous est enseigné, que c’est à faire à des Esprits foibles et ravallez de s’affliger de la perte des choses temporelles, qui pour leur bassesse ne sont non plus à priser qu’un mauvais outil, ou qu’une vile coignée. Il ne les faut donc pas regretter, si l’on ne veut témoigner en cela d’estre entaché du vice des Artisants, c’est à dire, d’avoir l’ame basse et interessée. Car en la possession des biens temporels, nous ny trouvons que les avantages qui sont en une hâche, à l’égard du Charpentier, puis qu’elle n’est autre chose qu’un outil pour en user, et que tous les biens du monde non plus ne sont considerables, que tant qu’ils servent à nostre commodité, et sont les instruments de nostre aise. Estant pris comme cela, encore ne nous doivent-ils point estre si chers, que leur perte nous couste une larme, ou la moindre preuve d’affliction. Premierement, à cause de la grande disproportion qu’il y a entre la dignité de nostre estre, et la bassesse des biens du monde ; puis par la raison mesme de l’usage et de l’accommodement, qui nous les rendent aimables. Mais si l’on ne les aime que pour cela, il s’ensuit qu’on ne les cherit pas tant que sa commodité propre, de qui lon ne peut estre qu’ennemy, quand on s’afflige pour une perte. D’où il faut conclure, que la mesme raison qui nous fait desirer les biens, nous oblige aussi à nous consoler, quand la mauvaise fortune▶ nous les oste. Mais passons à l’autre poinct, qui est le don que Mercure fait au Charpentier, pour la sincerité qu’il remarque en luy. Cela nous apprend que tost ou tard la recompense suit la Vertu, et que ce n’est jamais perdre le temps, de la pratiquer. Ce qui toutesfois ne semble pas tousjours vray dans le commerce du monde, puis que nous voyons une infinité de gents mal traictez de la ◀fortune, qui ne laissent pas d’avoir l’ame extrémement bonne, et de vivre dans une parfaitte observation des Loix. Mais qui sçauroit les contentements de leur ame, la tranquilité de leur vie, la douceur de leur solitude, et les charmes qu’ils trouvent dans la paix de leur maison, celuy là, possible, ne diroit pas, que telles gents n’ont aucune recompense. Au contraire, il envieroit leur bonne fortune, et la jugeroit preferable à celle des Riches. Je veux neantmoins que tous les avantages de la terre leur manquent, est-ce à dire pour cela qu’il leur faille renoncer à ceux du Ciel ? A quel propos Esope auroit-il introduit un Dieu, pour la consolation de ce pauvre homme, si ce n’estoit à dessein de nous apprendre, que c’est en Dieu que les Vertueux ont à mettre leur espoir ? que c’est luy dont ils doivent tout pretendre ; et bref, que c’est luy qui ne les delaissera jamais, et qui au lieu d’un bien contemptible et fresle comme une coignée de bois, leur en donnera une d’or et d’argent ; c’est à dire, que pour les biens corruptibles et vains, il leur en baillera les éternels. Mais quant aux desseins des hypocrites, qui sous un pretexte de probité n’aspirent qu’à la richesse et à l’interest, nous ne devons point douter que Dieu ne se mocque de leur fausse apparence, et qu’il ne prenne soin de les chastier, au lieu de répandre sur eux ses benedictions. Que si nous les voyons bien avant dans les prosperitez du monde ; s’ils sont environnez d’une suitte de gens serviles, et peu genereux ; s’ils ébloüyssent les hommes de l’éclat de leur ostentation, il ne s’ensuit pas pour cela qu’on les doive croire heureux. Il faut attendre la fin avant qu’en juger ; Car elle nous monstre bien souvent que ces mesmes richesses qu’ils ont acquises injustement, et si fort aymées, les font hayr d’un chacun, et les immolent quelquesfois à la vengeance publique.