(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXII. Du Chat, et du Coq. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXII. Du Chat, et du Coq. »

FABLE LXXII.

Du Chat, et du Coq.

Le Chat s’estant jetté sur le Coq, et n’ayant pas autrement sujet de le traitter mal ne sçeut que luy reprocher, sinon qu’il étoit un importun, qui par son chant éveilloit les hommes, et les empeschoit de reposer. « Ce que j’en fais », respondit le Coq en s’excusant, « est pour leur profit, affin qu’ils se levent pour s’en aller travailler ». « Tu as beau dire », reprit le Chat, « cela n’empesche pas que tu ne sois meschant, et vilain jusques à ce poinct, que pour assouvir ta lubricité, tu as à faire à ta Mere, et n’espargnes pas mesmes tes sœurs ». Le coq voulut encore chercher des excuses à cecy, mais le Chat ne les voulut pas entendre, et s’irritant plus fort qu’auparavant ; « C’est trop cajolé », dit il, t »u ne m’eschapperas point aujourd’huy ».

Discours sur la septante-deuxiesme Fable.

Il est bien aysé de trouver un pretexte apparent, quand on a conclud la mort de l’Innocent. Il a beau dire des raisons valables ; Il a beau s’excuser sur son innocence, et alleguer tout ce qu’il faut pour une persuasion qui soit raisonnable. On luy fait tousjours accroire qu’il a failly, et mesme on impute à crime des actions fort vulgaires, dont ses Accusateurs, ny ses Juges, ne sont nullement exempts, non plus que luy. Car comme il n’est point d’homme si vertueux dans le monde, en la vie duquel il n’y ait tous-jours quelque chose à dire : aussi n’en est-il point de si abandonné, qui ne trouve un pretexte à ses malices, et ne colore ses actions par une assez specieuse apparence. Cela procede en effect, de ce que toute Vertu a tous-jours deux Vices qui la costoyent, si bien qu’estant assise entre l’un et l’autre, elle donne moyen aux meschants, ou de luy imposer le nom des Vices, ou de leur donner le sien propre, pour colorer une meschante action. Ainsi nous appellons souvent l’Avarice un tresbon mesnage ; et derechef nous confondons quelquesfois le bon mesnage avec une sordide et honteuse espargne. Ainsi, dis-je, s’il arrive que les Grands veüillent faire mourir quelqu’un, apres avoir parlé genereusement pour le bien de la Patrie, il ne se trouvera que trop de Complaisants prés de leur personne, qui pour en haster la punition, luy imposeront incontinent le crime de Calomniateur, de Seditieux, et de Boute-feu. De ceste mesme façon, si pour la juste deffence de sa vie quelqu’autre a mis l’espée à la main contre un qui soit un peu en faveur, ou en credit, à cause de sa noblesse, ou de son argent, on alleguera simplement l’action, et là dessus on le fera servir d’exemple, quoy qu’en effect il en serve tres-innocemment. Mais la Justice de Dieu, qui ne peut souffrir de déguisement, sçait bien discerner au vray les Innocents d’avec les Coupables, et ne fait point de choix quant à la punition des grands ou des petits ; car elle ne veut point de pretexte pour chastier, ny de preuve pour convaincre. Aussi est-ce devant elle que les Puissants sont foibles, et mal armez, que les Malings ne produisent aucuns faux tesmoins : que les Nobles n’alleguent point d’alliance, que les Innocents ne craignent plus d’oppression, que les Vertueux pretendent des recompenses, et devant qui finallement la difference des hommes ne se fait que par les Vertus, ou par les Vices qu’ils ont acquis. Cela doit faire trembler les personnes de condition, et les détourner pour jamais de la cruauté, principallement de celle qui se figure un charitable pretexte du bien public, pour conclure la mort des Innocents avec la satisfaction des Peuples.