(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXV. Du Renard, trahy par le Coq. »
/ 56
(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXV. Du Renard, trahy par le Coq. »

FABLE LXV.

Du Renard, trahy par le Coq.

Le Renard avoit tué beaucoup de Poules à un Paysant, qui pour se venger tendit des lacs, et le prit. Or d’autant que le Coq avoit esté le seul tesmoin de cette prise, il le supplia tres-instamment, ou de luy apporter un coûteau pour coupper ses lacs, ou de n’en dire rien à son Maistre, jusqu’à ce qu’il les eust rompus à belles dents. Le Coq luy promit tous les deux, bien que toutesfois il ne fût nullement en volonté de luy tenir sa promesse. Comme en effect, il courut droit à son Maistre, et luy dit, que le Renard estoit pris. Le Paysan s’arma en mesme temps d’une massuë, pour en assommer son Ennemy, qui le voyant venir de loin. « Mal heureux que je suis ! », s’escria-t’il, « n’ay-je pas esté bien fol de croire que le Coq me seroit fidele, apres luy avoir tué tant de femmes ? »

Discours sur la soixante-cinquiesme Fable.

Jamais il ne faut attendre de bons offices des personnes que nous avons des-obligées, comme dit fort à propos le Renard dont il est question. En effect, si c’est presque une foiblesse d’esperer un vray service de ceux qui se disent nos amis, veu la grande tromperie qui se trouve d’ordinaire parmy les hommes, n’est ce pas une espece de manie d’en attendre de nos Ennemis, ou pour le moins de ceux qui le devroient estre ? Est-il bien possible que nous ayons oublié nos actions jusques-là, que de ne nous souvenir plus du sujet que nous pouvons avoir donné à un homme, de se plaindre de nous ? Si nous avons eu assez de malice pour l’offenser, à quel propos luy voudrons-nous imputer assez de probité pour n’en tirer sa revenche ? Certes, il n’y a point de Vertu dans le monde qui soit si grande, que de rendre le bien pour le mal. Que si on la veut trouver, il la faut chercher dans les Cloistres, et n’attendre pas que ce miracle se rencontre à nostre faveur. Mais quand mesme il y auroit des hommes assez heroïques pour une semblable action, nous ne pourrions les employer, sans chocquer la bien-seance. Car nous devons avoir en l’ame un secret souvenir du tort que nous leur avons fait, qui nous deffend de nous en servir, de peur de les aigrir davantage, et de leur remettre en memoire les déplaisirs du passé, D’ailleurs, c’est une action toute pleine d’inconstance, et de fausse conduite, et cela s’appelle proprement traicter en amis ceux à qui nous avons donné sujet de ne le plus estre, puis que, selon Senecque, celuy-là oblige le plus, qui donne aussi le plus de moyen à l’autre de l’obliger. Mais passons à la soixante-sixiesme Fable.