FABLE LX.
De la Puce, et de l’Homme.
Uu homme se sentant mordre par une puce ; « Qu’est-ce qui me picque icy ? », dit-il, et la prit en mesme temps. Elle voulut s’excuser alors, alleguant qu’elle estoit de ce genre d’animaux que la nature avoit destinez à vivre comme elle ; Surquoy le priant tres-instamment de la laisser, puis qu’aussi bien elle ne pouvoit luy faire beaucoup de mal ; « Tu t’abuses », luy respondit l’homme en soubs-riant ; « et c’est pour cela mesme que j’ay sujet de te vouloir tuer, pource qu’il ne faut offencer personne, ny peu, ny prou ».
Discours sur la soixantiésme Fable.
C’est une mauvaise excuse pour les meschans, que d’alleguer leur foiblesse, quand ils se veulent guarantir de la juste punition de leurs fautes. Car pour ne meriter point de pardon, c’est assez qu’on ait donné des marques d’une pernicieuse volonté, quand mesme elle ne seroit pas suivie d’un mal extraordinairement grand, ou qui auroit esté diverty par quelque accident inopiné. Toute la raison que je puis alleguer de cela, c’est que la faute consistant en la seule volonté, il semble qu’elle ne soit pas moindre aux foibles qu’aux puissants, et que pour la mesme raison ils ne soient pas aussi moins dignes de punition que les autres. Au contraire, on pourroit dire que ceste circonstance aggrave leur peché, puis qu’estant de leur nature incapables de nuire, et par consequent moins poussez à cela par la violence de leur sang, ou par la force de leur complexion, il n’est pas hors d’apparence qu’ils n’ayent une plus maligne volonté que les autres, et qu’ils ne desirent le mal comme mal. D’ailleurs, ayant plus de sujet que les forts de s’humilier, et de se recognoistre, ils sont blasmables au double de jetter en arriere toutes considerations, et se porter opiniastrément à une action eslevée au dessus de leur pouvoir, qui est en cela d’autant plus mauvaise, qu’elle est accompagnée d’une autre faute ; à sçavoir, de la temerité. L’on peut adjouster à tout cecy, que l’on est encor plus meschant d’entreprendre une chose vicieuse, lors qu’il y a moins d’espoir d’en éviter la punition. Car il y a de l’apparence que pour en venir là, il faut avoir necessairement une volonté de pecher, tout à fait noire et déterminée, ce qui tient du desespoir en quelque façon. Or est-il que les foibles et les petites gents me semblent entierement despourveus d’appuy, pour éviter le juste chastiment de leurs fautes ; Et c’est pour cela qu’ils sont plus à blâmer que les autres, puis qu’ils s’abandonnent à tout pour faire du mal. Ainsi le sage Phrygien a eu beaucoup de raison de faire dire à l’homme de ceste fable, que plus l’animal estoit petit, moins il luy falloit pardonner, pour estre digne de plus grand blâme, et capable de moindre resistance. C’est pour quoy nous voyons tous les jours par épreuve, que les petits qui se treuvent coûpables servent d’exemple au reste du peuple, afin de le détourner des meschantes actions, pource qu’en leur mort il y a peu de gents interessez, et que l’execution de leur arrest est pour l’ordinaire de petite difficulté.