FABLE LVI.
Du Lion, et du Renard▶.
Le Lion devint malade une fois, et fût visité de toutes les autres bestes horsmis du ◀Renard▶. Il luy envoya donc un Messager, avec une lettre, par laquelle il l’avisoit, qu’il ne luy pouvoit faire plus grand plaisir que de le venir voir, et que sa presence seule luy seroit plus agreable, que celle de tous les autres. Il adjoustoit, qu’il ne devoit point entrer en défiance de luy, qu’ils avoient esté bons amis de tout temps, et que pour cela il desiroit fort de l’entretenir ; joinct qu’il n’y avoit point d’apparence, qu’estant malade dans un lict, il luy pûst faire aucun mal, quand mesme il en auroit la volonté, qu’il n’avoit pas neantmoins. A tous ces termes de compliment, le ◀Renard▶ ne fit point d’autre response, sinon qu’il luy souhaittoit un recouvrement de santé, et que pour cét effet il prieroit les Dieux immortels ; Mais que pour le demeurant, il luy-estoit impossible de l’aller trouver, pource, disoit-il, que je ne puis voir qu’à regret les traces des animaux qui t’ont visité ; Car il ne s’y en remarque pas une qui soit tournée en arriere, et qui ne regarde ta caverne. Ce qui me fait croire que plusieurs bestes y sont voirement entrées ; mais je ne sçay si elles en sont sorties.
Discours sur la cinquante-sixiesme Fable.
Cet animal, qui est tous-jours travaillé de la fiévre, ne la peut surmonter aujourd’huy. Il faut qu’il cede pour ceste fois à sa violence, et qu’il demeure arresté dans sa caverne. C’est là que les autres bestes le vont visiter, affin de le consoler en sa langueur. Mais leurs consolations ne sont que trop charitables, et la franchise en est extraordinaire, puis que pour le soulager ils y vont laisser la vie, et qu’ils se rendent eux-mesmes la Medecine de son mal. Il n’y a que le seul ◀Renard▶ de sage : il n’y a que luy de judicieux. Le superbe Roy des animaux trouve mauvais qu’il ne le vienne point voir, et le convie à cela fort courtoisement ; mais luy s’excuse fort à propos sur la trace des autres bestes, nous enseignant à tenir tous-jours en haleine nostre conjecture, en matiere d’occasions suspectes de tromperie. Or d’autant que cela dépend de la prudence, et que ceste Vertu n’a pas tous-jours des regles certaines, joinct que dans les divisions de la Moralle, on ne peut donner des instructions pour ce qui est d’examiner les fourberies ; il me semble que pour les éviter, il doit suffire à l’homme bien advisé, de prendre soigneusement garde aux actions de ceux qu’il soupçonne, y procedant de telle sorte qu’à la maniere du ◀Renard, il s’embarrasse avec eux le moins qu’il pourra, principalement en visites, et en compliments.