(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LV. Du Vautour, et des autres Oyseaux. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LV. Du Vautour, et des autres Oyseaux. »

FABLE LV.

Du Vautour, et des autres Oyseaux.

Le Vautour feignant de vouloir payer sa feste, et solemniser le jour de sa naissance, invita les petits oyseaux à un banquet, où ils se rendirent presque tous. Il leur dit d’abord, qu’ils estoient les bien venus, et leur fit un fort bon accueil ; mais quand ils furent entrez, il les mit en pieces.

Discours sur la cinquante-cinquiesme Fable.

Le Vautour de ceste Fable imite la cruauté de certains hommes dénaturez, qui sous l’apparence d’une courtoisie empruntée, rendent de pernicieux offices aux Innocents, et font mourir quelquesfois ceux qui se fieroient en eux de leur propre vie. La trahison de ces courages felons va jusqu’à ce poinct, qu’il s’en est trouvé plusieurs qui se sont servis d’un festin, pour empoisonner leurs hostes, violant meschamment le droict d’hospitalité, qui est la chose du monde la moins violable. Ceste Perfidie est une marque visible, non seulement de haine, mais encore de lascheté. Car si c’est une démonstration de peur, que de faire mourir son Ennemy quand on a dequoy luy nuire, à cause qu’on tesmoigne par là de le craindre, en le laissant vivre ; à plus forte raison devons-nous imputer à poltronnerie l’action de ceux qui surprennent leurs Ennemis, sous le masque de leurs carresses, puis qu’on peut conclurre par là, qu’ils en apprehendent le courroux. Mais ce qu’il y a de pire en cela, et que l’on peut appeller proprement un crime contre nature, et insupportable aux gents de bien, c’est l’infame profanation des caresses et des tesmoignages d’amitié. Quelle honte, ô bon Dieu, que des hommes créez sociables par la Nature, et susceptibles de bien-veillance, se servent des actions les plus humaines en apparence pour executer des cruautez inoüyes, et les plus tragiques effects de leur vengeance ? Quelle abomination de voir que ce noble animal, à qui l’excellence de son estre a fait donner le tiltre de raisonnable, invente tous les jours de nouveaux appas, pour tromper ses ennemis, caressant plustost ceux qu’il veut perdre, que ceux qu’il ayme veritablement ? Certes, les animaux qui n’ont pas le don de cognoistre le bien et le mal, sont capables de faire plusieurs actes de cruauté, et mesme de supercherie, qu’à n’en point mentir, cela leur arrive peu souvent, qu’en l’extremité de la faim ou de la colere ; mais du moins ils ne s’aydent point du bon semblant pour la ruyne d’autruy, et ne font jamais perir ceux qu’ils hayssent, en les attirant par de feints embrassements, et par des visages déguisez ; ny encore moins servir de complice à leur vengeance une amour dissimulée. Mais ce n’est pas assez aux Meschants de s’ayder de leurs artifices accoustumez, pour assassiner autruy. Ce n’est pas assez, dis-je, de faire de beaux semblants, d’accoster, d’embrasser, et de convier à la table ceux de qui lon medite la mort. Pour mieux en oster la desfiance, on met jusqu’aux baisers en usage ; Tesmoin le plus execrable de tous les hommes, la perfidie duquel osa bien s’attaquer à Iesus Christ, qui luy representa l’horreur de son crime par ces paroles. « Amy, pourquoy t’en es-tu venu trahir le Fils de l’Homme avec un baiser ? » Or ce ne sont pas seulement les baisers que ces courages malins employent à leurs infames entreprises ; Leur brutalité va quelquesfois jusques là, qu’ils prennent l’occasion de faire mourir leur partie dans les amoureux accouplements. Il se trouve mesme des gents qui recherchent pour cela des finesses extraordinaires, et qui font gloire entr’eux d’en inventer de nouvelles. Pour moy, je n’ay pas trouvé Cardan judicieux en son Livre de la Sagesse, où traictant de la malice Diabolique et humaine, ou pour mieux dire, plus qu’inhumaine, il rapporte sept ou huict inventions estranges, pour se défaire de ceux qui nous hayssent, ou qui nous des-honorent. Mais c’est dequoy je ne suis pas d’advis de parler, pour ne tomber impertinemment dans la mesme faute dont je le blâme. Il me suffira de dire icy avec horreur une chose qui n’est que trop cognuë, à sçavoir, que plusieurs ont appris l’art d’empoisonner par la senteur d’un bouquet, rendant par ce moyen coupables de la mort d’autruy les fleurs, qu’on peust appeller d’ailleurs les plus innocentes de toutes les Creatures. Mais diray-je, sans que les cheveux me herissent sur la teste, que parmy les hommes il s’en est trouvé de si execrables, que de se vouloir servir de la saincte Hostie, pour donner la mort à leurs Ennemis, en mesme temps que Dieu se donnoit à Eux pour vivifier leur ame ? Il me semble avoir leu dans les Histoires de Naples, le conte de ceste effroyable action, dont il est meilleur de se taire, que d’en parler d’avantage. Sortons en doncques bien vistement, et voyons une autre sorte de ruze au Lyon, par laquelle il desire attrapper les animaux ses inferieurs.