(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LII. De l’Oyseleur, et du Merle. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LII. De l’Oyseleur, et du Merle. »

FABLE LII.

De l’Oyseleur, et du Merle.

Le Merle ayant apperçeu de loing un Oyseleur qui avoit tendu ses rets, pour y prendre des Oyseaux ; « Que fais-tu là ? », luy demanda-t’il. « Je bastis une Ville », luy respondit l’Oyseleur ; et en mesme temps s’en allant un peu plus loing, il se cacha. Cependant le Merle adjoustant foy à ses paroles, s’approcha de la mangeaille qui estoit auprés des rets. L’Oyseleur accourust à l’heure mesme, et le pauvre Merle bien estonné de se voir entre ses mains ; « O homme », luy dit-il, « si tu bastis toûjours de semblables villes, tu n’auras pas beaucoup de Citoyens ».

Discours sur la cinquante-deuxiesme Fable.

Par les paroles de cét animal captif, nous apprenons que la bonne foy est entierement requise à l’accroissement des Republiques. Ce qui est tellement vray, que nulle autre proposition ne l’est d’avantage, et cela pour beaucoup de raisons. Premierement, pource que la famille estant une Communauté composée de plusieurs personnes, et la Republique une Communauté composée de beaucoup de familles, il faut necessairement conclure que ceste espece de Republique sera la meilleure, qui approchera le plus de l’ordre et de la liaison d’une famille, c’est à dire, celle dont les habitants se garderont plus de foy et de sincerité les uns aux autres. Car qu’est-ce autre chose ressembler à l’union d’une famille, si ce n’est s’entr’aymer cordialement et avecque franchise, plustost comme freres, que comme Citoyens d’une mesme Ville ? D’ailleurs, selon la maxime des Philosophes, une chose est maintenuë par les mesmes causes dont elle est produite, puis que la conservation est une maniere de seconde production ; Or le commencement ou la source des Republiques, c’est la sincerité d’autant que toutes les fois que deux ou trois mesnages s’assemblent en mesme lieu, et en mesme façon de vivre, il faut que ce soit, pource qu’ils se fient les uns aux autres, et qu’ils n’ont pas mauvaise opinion de ceux avec qui ils entrent en societe ; autrement ils se fuyroient comme ennemis, au lieu de se rechercher comme freres. Tellement que plus ceste probité aura de force, plus la Republique s’augmentera ; Et partant le Merle d’Esope avoit raison de dire à l’Oyseleur, qu’il n’auroit guere de Citoyens, s’il faisoit bastir une Ville pleine de pieges.