FABLE XLIX.
De la Belette, et du Renard.
Le Renard tout amaigry de faim, entra fortuitement dans un clos à blé par une ouverture fort estroicte, d’où pensant sortir apres s’estre bien soulé, il ne le pût faire, à cause que son ventre l’en empescha, pour estre un peu trop enflé. Cependant, la Belette l’ayant apperçeu de loing, comme il faisoit cét effort, y accourut pour le secourir ; Et apres plusieurs discours, luy conseilla de retourner en sa terriere, aussi maigre qu’il en estoit sorty.
Discours sur la quarante-neufviesme Fable.
Quelques-uns rapporteront le sujet de ceste Fable à la richesse, qui rend chagrins et embroüillez les Esprits de ceux qui l’ont acquise, au lieu qu’auparavant ils estoient contents et libres. Mais pour moy, il me semble meilleur de l’appliquer à l’Estude des Lettres▶, et à la Volupté tout ensemble. Car ce Renard, qui entre fort aisément par l’ouverture d’une cloison, quand il a le corps déchargé de graisse, que peut-il signifier plus à propos, si ce n’est que l’acquisition de la science n’est pas mal-aisée aux personnes deliées, et déprises de toutes voluptez superfluës. C’est ce qu’ont voulu dire les Anciens, en nous representant les Muses chastes et sobres, et en donnant aux Poëtes le Lierre, qui represente par sa pasleur je ne sçay quelle abstinence des aises du corps. D’ailleurs, ils ont rendu l’accés du Mont Parnasse penible, et fort mal aisé, pour nous faire voir que les personnes repletes et grasses, ou qui sont trop à leur aise, peuvent difficilement atteindre à la plus haute perfection des Sciences. Aussi aprenons-nous dans les Histoires, que les plus excellents hommes de ◀lettres▶ ont esté maigres, et secs ; Tesmoin Aristote, Virgile, Homere, et une infinité d’autres. Au contraire, pour revenir à la seconde partie de la Fable, le Renard dés qu’il s’est enflé le ventre, ne peut repasser par la mesme ouverture par où il avoit passé auparavant ; Nous enseignant par là, qu’aussi-tost que nos esprits sont abestis apres les voluptez, et qu’ils s’abandonnent à l’excés des convoitises corporelles, avec ce que tous leurs mouvements sont retardez, leur vivacité se diminuë, et se tourne en une importune pesanteur. Ce que cognoissoient fort bien les Stoïques, et les Peripateticiens, quand ils inferoient l’ignorance d’Epicure par la voluptueuse conduite de sa vie. Car, disoient-ils, comment pourroit s’exercer aux hautes et sublimes meditations un homme abruty dans l’oysiveté, qui ne s’étudie qu’à contenter les sens corporels, et ne donne rien aux operations de l’ame. Pour ceste mesme raison Jules Cesar souloit dire, qu’il n’apprehendoit point les hommes gras comme Crassus, mais bien les décharnez, et les maigres, comme Brutus ; par où il vouloit monstrer, sans doute, que la magnanime pensée d’affranchir l’Estat de sa sujection, ne pouvoit pas tomber dans un corps enflé de delices, et assouvy de voluptez ; mais que telle entreprise n’appartenoit qu’aux personnes subtiles et Philosophiques. En effect, la pluspart de ceux qui ont entrepris d’affranchir les Peuples de la tyrannie, l’ont fait par le moyen des ◀Lettres ; Tesmoin le Philosophe Dion, qui apres avoir passé les plus beaux jours de sa vie en l’Escolle Academique, n’entreprit la genereuse action qu’il executa, que bien avant sur le declin de son âge. Trasibule tout de mesme avoit fort bien estudié ; Et le Corinthien Timoleon ayant acquis la liberté à sa Patrie, par la mort de son propre frere, demeura jusqu’à l’âge de quarante-cinq ans hors la ville de Corinthe, à vacquer incessamment à l’Estude, en attendant que l’occasion de delivrer la Sicile le tirast derechef de son repos, pour le conduire aux plus belles actions, qu’homme de sa nation eût jamais executées. Mais je m’esgare, sans m’en apperçevoir, hors de mon sujet, et n’ayant entrepris que de monstrer combien la Volupté nuist à l’Estude des Sciences, je fais voir insensiblement par ces Histoires, que les sçavans hommes sont capables des plus hautes entreprises, et de la parfaite Vertu, qui ne consiste pas moins à exterminer les Usurpateurs, qu’à bien servir les Roys legitimes.