FABLE XLVIII.
Du Renard, et des Raisins.
Le Renard ayant découvert quelques grappes de Raisins, qui commençoient à meurir, eust envie d’en manger, et fit son possible pour en avoir. Mais quand il vid sa peine perduë, et qu’il ne pouvoit satisfaire à son desir, tournant sa tristesse en joye ; « Je ne veux point de ces Raisins », dit-il, « ils sont encore trop aigres ».
Discours sur la quarante-huictiesme Fable.
La dissimulation est quelquesfois un Vice, et quelquesfois une Vertu. Elle est un Vice, lors que nous cachons nos desseins, ou aux personnes▶ à qui nous les devons dire, comme à un amy parfaict, ou quand nous les cachons hors de saison, et avec une mauvaise intention. Mais elle est une Vertu, quand il ne s’y trouve point aucune de ces circonstances, et qu’au contraire nous voulons nous deffendre des ruses d’autruy par nostre propre déguisement ; et c’estoit ainsi que l’entendoit Tacite, quand il disoit, , bien que toutesfois ce ne fût pas en ce sens là que Louys XI. avoit accoustumé d’user de ceste maxime. Il y a de plus une autre sorte de dissimulation, qui ne nuist à ◀personne, mais qui sert en quelque chose au dissimulateur, à sçavoir, lors que nous nions d’avoir eu une entreprise, apres que nous la voyons inutile. C’est la feinte qu’Esope attribuë à son Renard, qui ne pouvant manger des Raisins, disoit qu’ils n’estoient pas encore meurs. D’où nous apprenons, qu’il faut accortement rejetter son impuissance sur l’imperfection de la chose que l’on desire, quand on a regret de n’avoir pas réussi.