(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XLIII. Des Loups, et de la Brebis. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XLIII. Des Loups, et de la Brebis. »

FABLE XLIII.

Des Loups, et de la Brebis.

Combien que les Loups et les Brebis ayent tous jours eu guerre ensemble, il advint neantmoins qu’ils firent treve une fois, et que pour hostages de part et d’autre, les Loups donnerent leurs Louveteaux, et les Brebis leurs Chiens. Mais pendant que les Brebis estoient en repos, et qu’elles paissoient à leur aise, il se fist une émotion du costé des Louveteaux, qui se mirent à hurler bien fort, et à demander leurs meres. Les Loups sortirent incontinent, et sous pretexte qu’on leur avoit faussé la foy, et rompu la treve, ils se jetterent sur les pauvres Brebis, qu’ils mirent en pieces bien aisément, pource qu’elles n’avoient plus leur garde ordinaire.

Discours sur la quarante-troisiesme Fable.

L’on peut apprendre deux choses dans la Fable des Loups et des Brebis ; la premiere, qu’il ne faut pas inconsiderément se fier à un Ennemy reconcilié ; et la seconde, qu’il ne couste rien aux meschants, de supposer un faux pretexte, pour envahir et perdre leurs Ennemis. Nous avons de si bonnes preuves de tous les deux, et par les raisons, et par les exemples, que ce seroit une chose superfluë de s’estendre beaucoup là dessus. Je diray seulement, que celuy qui se confie à son Ennemy, monstre qu’il ne luy veut point de bien luy mesme, puis que c’est un acte d’une veritable hostilité contre quelqu’un, de se jetter confidemment dans le party qui luy est contraire. D’ailleurs, comment pouvons-nous étre asseurez qu’il a mis en oubly toute sa hayne, puis qu’il y en a plusieurs qui la perpetuënt jusqu’au tombeau ? S’il nous veut du mal sans raison, c’est un préjugé d’une tres mauvaise nature, et par consequent de la durée de sa haine. Car quiconque a conçeu une animosité sans sujet, est capable de la continuer long-temps, pource que c’est une espece de raison en une chose qui n’en a point, que de la poursuyvre pour cela seulement qu’on l’a commencée ; Et si au contraire il a eu sujet de nous hayr, nous ne l’avons pas de nous y fier beaucoup, à cause que nous l’avons aigry. Pour ce qui est de l’autre poinct, dont ceste Fable nous peut instruire, à sçavoir que les Ennemis reconciliez à faux, ne demandent qu’un pretexte pour nous attaquer, c’est une question de fait, qui a plus besoin d’exemples que de raisons. Mais nous nous sommes estendus si avant dans l’Histoire aux discours precedents, que nous laisserons pour ceste fois à la discretion du Lecteur, de se remettré en memoire les preuves de ceste verité.