(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXVIII. De l’Esprevier, et de la Colombe. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXVIII. De l’Esprevier, et de la Colombe. »

FABLE XXXVIII.

De l’Esprevier, et de la Colombe.

L’Esprevier poursuyvoit une Colombe, lors qu’il arriva que s’abattant dans une grange, il fut pris par un Paysan. Comme il se veid en ses mains, pour essayer de s’en retirer, il se mit à le flatter, et eut recours aux prieres, luy disant qu’il ne croyoit pas l’avoir offensé. Tu as raison, luy respondit le Paysan, mais la Colombe que tu poursuyvois n’aguere ne t’avoit point fait de mal aussi.

Discours sur la trente-huictiesme Fable.

C’est une mauvaise persuasion à l’Esprevier, pour obtenir sa liberté du Paysan, de dire qu’il ne l’a point offensé. Car l’homme, le plus noble des animaux, et qui a de l’empire sur eux, vange la querelle des petits contre les grands, et nous apprend par cét exemple, qu’il faut que nous soyons protecteurs de l’innocence, quand la fortune nous en donne le pouvoir et l’authorité. Mais supposons que le Paysan n’en eust point sur l’Esprevier, et qu’il agist en cela, non comme protecteur de l’un mais comme cruel et injuste persecuteur de l’autre, si est-ce qu’Esope n’auroit pas feint ceste Fable sans sujet, puis que nous voyons d’ordinaire dans le monde que les meschants sont punis, et les gens de bien vangez par d’autres meschants. Pour prouver à plain ceste verité, jettons les yeux depuis le commencement jusques à la fin sur toutes les choses du monde, et nous trouverons qu’une nation usurpatrice, a tousjours esté chastiée par une autre, de mesme ou de pire nature qu’elle. Les Medes ne vengerent-ils pas les peuples d’Orient de la tyrannie Assirienne, et les Perses ne firent-ils point raison à l’Univers de l’usurpation des Medes ? Le grand Alexandre ne porta-il pas les armes des Grecs jusques chez les mesmes Perses, et les Romains ne vengerent-ils point le Monde de la domination des Grecs ? Tout cela neantmoins se fit sans forme et sans apparence de Justice. Car on establissoit Juge sur un autre, celuy qui avoit la force à la main, et qui n’etoit pas moins usurpateur, ny moins blasmable que luy. Venons maintenant au dernier âge du monde, et voyons s’il est exempt de mesme rencontre. Les Gots, les Vandales, et les Francs, ne chastierent-ils pas l’orgueil de Rome, en démembrant toutes les parties de ce grand Empire ? Et derechef, les Sarrasins ne punirent-ils point l’insolence des Gots par la leur propre ? Ceux-là mesmes ne furent-ils pas chastiez par les François en la Terre saincte, et par Othoman en l’Asie Mineure, quoy qu’il fust né sujet et serviteur de Saladin leur Roy ? Tout de mesme avons-nous sujet de croire, qu’une autre nation vengera ceux du Levant des violences du Turc. Ce qui me semble estre des-ja visible en l’accroissement des Persans, et en la bonne fortune des Poulonnois. Que si nous voulions transporter ceste induction des choses grandes aux petites, ne pourrions-nous pas remarquer tous les jours dans le succés de ceste vie, qu’un meurtrier paye la peine de ses actions par la main d’un autre meurtrier ? Qu’un adultere souffre le mesme desplaisir qu’il a fait aux autres par un pareil crime ; qu’un larron est dérobé par un autre larron, et qu’un meschant est chastié de quelque tort, par un plus meschant que luy ? Voylà ce qu’Esope nous a voulu representer en ceste Fable : passons maintenant à la trenteneufviesme.