(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXVII. Des Oyseaux, et des Bestes à quatre pieds. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXVII. Des Oyseaux, et des Bestes à quatre pieds. »

FABLE XXXVII.

Des Oyseaux, et des Bestes à quatre pieds.

Les Oyseaux, et les animaux terrestres avoient ensemble une fort cruelle guerre, où l’esperance, la crainte, et le danger, balançoient des deux costez. La Chauve-souris fût la seule qui abandonna ses compagnons, pour se jetter dans le party des Ennemis. Toutesfois elle en porta bien-tost la punition : car les Oyseaux ayant gagné la Victoire, sous les auspices de l’Aigle, ils la bannirent de leur compagnie, la condamnant à ne se mesler parmy eux à l’advenir, et à ne voler jamais de jour. Voylà pourquoy l’on ne la voit point d’ordinaire, que lors qu’il est presque nuict.

Discours sur la trente-septiesme Fable.

Quant à la trahison de la Chauve souris, il me semble qu’elle est avecque raison punie par les autres Oyseaux qu’elle avoit abandonnez en leur adversité. Car celuy là ne merite pas d’avoir part à l’heureuse fortune de ses amis, qui ne l’a voulu prendre à leur disgrace ; Autrement ce seroit recompenser de mesme sorte les meschants et les gens de bien, et donner à la trahison les mesmes avantages qu’à la probité. Si quelqu’un nous abandonne pendant nostre querelle, il le fait, sans doute, pource que la cause de nostre Ennemy luy semble plus juste, ou plus asseurée que la sienne. Mais quoy qu’il en soit, s’il la trouve plus juste, il offense dés là nostre probité ; Si plus asseurée, il fait tort à nostre bonne conduite, et en tous les deux sens, il tesmoigne une manifeste poltronnerie, joincte à une plus grande legereté. Tellement que par la maxime que nous avons dite cy dessus en la Fable du Serpent et du Laboureur, c’est bien une action charitable de luy pardonner, mais elle seroit imprudente de le reprendre en amitié, puis que de soy il n’est ny amy, ny homme de valeur et de fermeté. C’est au reste avec une grande sagesse qu’Esope fait ordonner de la punition d’une si cruelle perfidie. Car il ne feint point que l’Aigle, victorieuse des animaux terrestres, se soit employée à tirer une sanglante vengeance de l’infidelle Chauve-souris, comme voulant dire qu’une ame noble et genereuse, ou ne se vange point, ou ne se vange qu’avecque peril. Ce seroit une entreprise indigne de ce magnagnime Oyseau, de songer à la destruction d’un si foible ennemy ; et d’ailleurs, quand il en auroit premedité la vengeance, le haut poinct de prosperité où il se trouve maintenant, luy fait pardonner aisément à ceux qui l’ont offensé, pour gagner en mesme jour une double victoire, et contre son Ennemy, et contre soy mesme. Ainsi en ont usé les plus grands personnages de l’Antiquité, principalement Cesar et Alexandre, à l’imitation desquels, ou plustost par un instinct naturel, la pluspart de nos Roys ont tousjours couronné leur valeur d’une Clemence heroïque. C’est doncques bien à propos que nostre Phrygien ne met pas la victoire de l’Aigle à luy faire déchirer avecque les ongles la traistresse Chauve souris ; Mais aussi ne feint-il point qu’il la reprenne en grace, ny qu’il des-honore sa Royale Cour de la presence de ceste perfide. Elle la condamne seulement à ne se trouver plus avec les autres Oyseaux, et à ne paroistre jamais en plein jour, comme si elle eust raisonné de ceste sorte. « Si la faute que tu as faite provient de haine contre moy, ô infidelle et chetive Chauve-souris, n’attends pas que je te fasse l’honneur de m’en vanger. Comme au contraire ; si elle vient de ta lascheté, c’est une action qui ne merite pas la mort, mais une infamie perpetuelle, si bien que pour la mesme raison je te condamne à ne voler que de nuict, et à ne te point trouver en la compagnie de ces victorieux Oyseaux que je commande ». Cela s’accorde, sans doute, aux Loix de plusieurs grands Politiques, qui n’ont pas jugé qu’il y eust d’autres punitions contre les Lasches, que l’infamie et la honte de leur foiblesse. Car d’y proceder plus rigoureusement, ce seroit violenter un Mal-heureux, et luy faire porter la penitence des defauts de sa nature. Que si l’on m’objecte à cela, que le vice de lascheté estant pernicieux à l’Estat, quand il ne meriteroit point de soy-mesme un rigoureux chastiment, si est-ce qu’à cause de la consequence, il y faudroit proceder le plus severement qu’il seroit possible, pour empescher à l’advenir tous les jeunes hommes de tomber en pareil inconvenient ; A cela je responds, qu’un poltron executé à mort, est enlevé hors de la presence des Vivants, et ne sert point d’un si bel exemple, pour destourner la jeunesse d’une pareille faute, que quand il demeure parmy nous chargé d’opprobres et d’infamie ; Car alors il resveille incessamment la memoire de son supplice, et prend en horreur l’action qui le luy a pû causer. Voylà donc ce perfide animal puny selon son démerite, et chassé non seulement de la compagnie des Oyseaux, mais encore de celle des animaux terrestres. Ceux-cy l’ont en aussi grande horreur, que le peuvent avoir les autres, encore qu’il se soit jetté dans leur party, donnant à entendre par là combien est vray ce Proverbe, « Que la trahison accommode, mais que les traistres sont odieux ».