FABLE XXXI.
Du Geay.
Le Geay s’estant vestu des plumes du Paon, devint tout à coup si fort amoureux de sa gentillesse, et de sa beauté, qu’ennuyé de sa premiere condition, il s’alla mesler avecque les autres Paons, qui recognoissant sa fourbe, le desnuërent de ses plumes empruntées, et le battirent tres-bien.
Discours sur la trente et uniesme Fable.
L’extravagante ambition de ces Presomptueux, qui démentent leur naissance pour se jetter dans une volée trop éminente, est icy tresbien dépeinte par le sage Esope, en la personne du Geay. Cét Oiseau portant envie à la beauté des Paons, emprunta le plumage de l’un d’entr’eux, qui estoit de ses amis ; et cela faict, il s’alla jetter inconsiderément parmy les autres, croyant les tromper et les esblouyr jusques là, que de passer pour Camarade avec eux. Combien voit-on aujourd’huy de gents, qui poussez d’une aveugle presomption, se jette effrontément parmy les Grands, sans y vouloir mettre la difference que l’extraction et la nourriture y ont mise ? Ce qu’ils en font, c’est par un vain espoir de s’acquerir de l’esclat en leur compagnie, et de jetter dans l’esprit du peuple autant de respect qu’il en a pour les plus qualifiez. Ces Arrogans se parent de superbes despoüilles, comme le Geay de nostre Fable. Ils empruntent les plumages des Grands, c’est à dire, qu’ils prennent à credit des habillements precieux. Ils s’endebtent de tous costez chez les Artisans, et chez leurs amis : Ils font la roüe dans des estoffes empruntées. Bref, ils frequentent incessamment des gents de haute condition, sans leur vouloir ceder en aucune chose. Mais qu’arrive-t’il de ceste imprudente façon de vivre ? Rien autre, certes, que ce que nous represente la Fable à sçavoir un becquetement general des vrays Paons contre le faux ; une risée honteuse, une fuitte pleine de desespoir. Ces Ambitieux sont à la fin découverts, pour n’estre pas hommes de condition, pour avoir dissipé leurs moyens en despenses frivoles, et bref pour manquer tout à fait de jugement en la conduitte de leur vie. Il n’est point de gents relevez, ny d’autres, qui ne leur donnent un coup de bec, et qui n’assaillent leur misere avec des brocards. On les déchiffre plaisamment depuis le pied jusques à la teste : On compte leurs Predecesseurs : On examine leurs actions. La moindre parole qu’ils ont ditte pendant leurs vanitez, est espluchée dans les mesmes Compagnies où ils souloient frequenter. En un mot, ils esprouvent pour indifferents, ceux qu’ils avoient eus pour approbateurs. Cependant les Creanciers, ou ne peuvent plus fournir à la despence de ces Prodigues, ou ils en sont dégoustez par le mespris qu’on fait de leurs impertinences. Chacun redemande son lopin : Chacun veut avoir sa piece, avecque de grands profits. Il est question à la fin de decreter tout le bien pour quelques haillons, et de laisser aller un heritage assez raisonnable entre les mains des persecuteurs. Ce seroit une chose extravagante de confirmer ceste verité par des Histoires. La Cour n’est que trop pleine de gents de ceste sorte. Nous voyons tous les jours le commencement, le progrés, et la fin de ces Presomptueux, voire mesme nous prenons quelquesfois part à la despense, et servons▶ inconsiderément de soufflet à leurs vanitez. Il faut donc laisser bien loing telles frequentations, et se dégager de ces pratiques. Car la confusion qui suit les pompes de ces gents-là, est partagée à ceux qui les ont causées, ou qui ont pris la moindre part à leur intelligence ; Et comme en matiere d’opinions, il ne faut pas se laisser charmer aux specieuses maximes, mais rechercher la solide verité, et choisir plustost à dire les choses vrayes, que les subtiles ; De mesme aux amitiez que nous voulons establir, il ne faut pas tant donner à l’esclat et à la monstre exterieure, qu’à la vraye et parfaite vertu de l’ame. Ces hommes falsifiez, qui n’ont soin que de la beauté superficielle, qui empruntent une qualité, un habit, un panache, une mine, une reputation, et qui mesme ne se contentent pas de leurs cheveux propres ; Ces hommes, dis-je, doivent estre fuys, comme le fût le Cavalier Punctuel, qui sous le nom emprunté de Dom Jean de Tolede, vint à la Cour de Madrid, où il fût si mal traitté, que sa disgrace doit ◀servir d’exemple à ceux qui l’imitent.