FABLE XXX.
Du Loup, et de la Teste peinte.
Le Loup ayant treuvé dans la boutique d’un Sculpteur une teste de relief, se mit à la tourner de tous costez ; et bien estonné de voir veritablement qu’elle n’avoit point de sens : « O la belle teste ! » se mit-il à dire : « il y a sans doute beaucoup d’art en toy, mais point d’esprit, ny de sentiment ».
Discours sur la trentiesme Fable.
Ceux-là s’abusent extrémement, qui n’entendent par le vray nom de Beauté que la corporelle, à sçavoir celle qui consiste en l’agréement du teinct, et en la juste proportion des parties. Il y en a une autre bien plus excellente, et plus pure, qui ne contient rien de perissable, ny d’imparfaict, mais au contraire elle resiste à l’injure du temps, et n’est susceptible d’aucune tache, ny d’aucune defectuosité. C’est aussi par elle que nous sommes semblables à Dieu, comme il est dit dans l’Escriture, ▶, pource qu’elle est la meilleure de toutes les choses. D’où il est aisé de conclure, que celuy-là aura l’ame plus belle qui aura plus d’esprit et plus de ◀Vertu. Mais quant à la beauté du corps, elle consiste en certaine proportion de membres, animée d’une couleur vive et claire ; ou plustost telle que la requierent les diverses inclinations. De dire au reste de poinct en poinct les regles de ceste beauté, c’est ce que je laisseray aux Peintres, et aux Dames. Il me suffit maintenant de monstrer en peu de paroles les advantages qu’emporte la beauté de l’ame par dessus celle du corps. Le premier est celuy que nous avons desja touché, à sçavoir, que l’une nous rend semblables à Dieu, l’autre nous est commune avecque les bestes. Quant à la ressemblance de Dieu, outre l’authorité de l’Escriture, j’allegueray que l’ame est separée de la matiere comme luy, quoy que non pas en si haut degré de perfection. A quoy j’adjousteray le raisonnement, qui pour estre en nous tres-imparfaict, ne laisse pas toutes-fois de contenir quelque chose d’excellent et de grand par dessus tout ce qui est dans le monde : Or que la beauté du corps nous rende semblables aux animaux, cela se découvre assez en ce que la leur consiste comme la nostre, et en couleur, et en proportion ; Et ne sert de rien de dire, qu’ils n’ont pas les traits de leur corps semblables aux nostres, puis qu’il est certain que nous ne leur ressemblons pas, ny du visage, ny de la stature. Ce qui doit suffire, ce me semble, pour soustenir ce que j’ay dit cy-dessus, à sçavoir, qu’ils ont une beauté corporelle comme nous, qui dépend tout de mesme que la nostre, de la justesse des parties. Voylà quant au premier avantage que la beauté de l’ame emporte sur celle du corps. Le second consiste en la noblesse, qui est d’autant plus sublime en elle, que l’ame est infiniment plus excellente que le corps ; Et le troisiéme se remarque par la durée. Car la beauté du corps n’ayant tout au plus que douze ou quinze ans à paroistre en nos personnes, celle de l’ame nous accompagne jusqu’au tombeau, voire mesme elle trouve des siecles infinis par delà, pendant lesquels elle a mille fois plus de splendeur et de gloire que maintenant. Mais je manquerois plustost de loisir, ou de temps que de matiere, si je voulois rapporter au long toutes les préeminences de la beauté de l’ame par dessus celles du corps. Il vaut donc mieux se contenter de ce que nous en avons dit, et jetter les yeux sur le Renard de ceste Fable, qui se mocque agreablement, quand il dit; « ô la belle teste, si elle avoit un cerveau ! » comme voulant monstrer que la beauté corporelle est tousjours moindre que celle de l’esprit, et que les excellents visages ne doivent estre estimez qu’une chetiue Sculpture, s’ils ne sont animez par l’interieur, ou pour mieux parler, s’ils n’ont autant de gentillesse que de beauté.
. Car de croire qu’il ait voulu entendre par là des traicts de visage, et des proportions de corps, ce seroit rendre ces termes ridicules, puis que Dieu est incapable de matiere et de lineaments. Il y a donc une espece de Beauté, par qui nous ressemblons aucunement à Dieu, à sçavoir la beauté de l’ame. Or elle consiste à bien appliquer ses deux principales facultez, à sçavoir l’entendement et la volonté ; Et les bien appliquer n’est autre chose que suyvre plus droictement l’object de ces deux puissances, qui sont, Verité, et Bonté. Car l’entendement ne desire rien cognoistre que pource qu’il le croit vray ; et la volonté ne desire rien aymer, qu’à cause qu’elle le croit bon. Tellement que c’est avoir l’ame plus belle, que de cognoistre plus au vray les choses, et d’aymer plus celles qui sont veritablement bonnes. Cognoistre plus au vray les choses, est un avantage qui appartient aux personnes doüées d’un esprit vif, et subtil. Aymer plus les choses aymables, c’est l’exercice et la condition des gents de bien, d’autant qu’ils se portent aux bons objects, pour se transformer en eux, et pratiquent incessamment les actions de la Vertu