(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXVII. Du Chien, et de la Brebis. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXVII. Du Chien, et de la Brebis. »

FABLE XXVII.

Du Chien, et de la Brebis.

Le Chien ayant fait adjourner la Brebis, pour se voir condamner à luy payer un pain qu’il luy avoit presté, elle ny a de luy rien devoir ; mais le Milan, le Loup, et le Vautour, en estans pris à tesmoins, ils déposerent contre la pauvre Brebis, qui fut condamnée à rendre le pain, que le Loup luy osta en mesme temps, et le devora.

Discours sur la vingt-septiesme Fable.

Je ne sçay quel enseignement donner aux Innocents, pour les mettre à couvert de l’oppression des faux tesmoins. Car j’en trouve les embusches si dangereuses, qu’il est impossible, à mon advis, de les éviter, si ce n’est d’avanture en se dérobant le plus qu’on peut à la frequentation des hommes : Encore arrive-t’il bien souvent que ceux-là mesme qui nous cognoissent le mieux, dressent quelquesfois, et à nostre honneur, et à nostre vie, des pieges si dangereux, qu’il est presque impossible d’en eschapper. Ce qu’Esope a fort bien donné à cognoistre, en faisant le Chien accusateur de la Brebis, bien que neantmoins il la deût proteger continuellement, estant destiné à cela par la coustume, et par la raison. Il nous enseigne par ceste Fable, que ceux en qui nous devons avoir plus d’esperance, sont quelquesfois nos pires persecuteurs, et qu’ils apostent de faux tesmoins contre nous, afin de rendre nostre calamité plus certaine. Il faut donc estre soigneux de ne voir, s’il est possible, que des gents de bien, et de fuyr le commerce des meschants, quand mesme le parentage, ou l’habitude nous convieroit à les pratiquer. Voila ce que je puis conseiller aux Vertueux, pour esviter l’oppression de leur contraire. Mais quant aux faux tesmoins, et aux calomniateurs, je leur representeray en passant l’imposture de leur crime, par la comparaison des Demons. Il est en effect tellement hideux, qu’il les rend plus execrables que les mauvais esprits : car encore que ce soit leur mestier de mentir incessamment, si est-ce qu’il y a des circonstances où ils font forcez à dire la verité, et ne sçauroient en ce cas là porter un faux tesmoignage, comme il arrive aux adjurations et aux exorcismes. Les faux tesmoins au contraire n’ont rien de sacré, ny d’inviolable. Ils levent la main devant leur Juge ; ils appellent leur Createur à tesmoin ; ils jurent mesme sur l’Evangile, pour tendre croyables leurs impostures, et ostent la vie ou le repos à l’Innocent, qui n’a pas moyen de se garantir du tort qu’on luy fait, et n’en peut demander justice qu’à Dieu seulement. D’ailleurs, les demons par la mesme raison qu’ils se font cognoistre à nous, donnent pareillement dequoy nous mesfier d’eux ; au lieu que ceux-cy ébloüyssent les Magistrats avec une feinte probité, et se servent de la foy humaine pour couper la gorge aux pauvres affligez, jusques à s’ayder du nom d’une Vertu, pour authoriser un crime. Avecque cela, les malins esprits sont en quelque façon excusables, à cause des peines qu’ils souffrent depuis tant d’années, et qu’il leur faudra souffrir eternellement. Mais les faux tesmoins n’ont point de sujet de desespoir, ny de plaincte, contre la Bonté Divine. Dieu leur a donné presque autant de graces qu’aux gens de bien, et il leur promet les mesmes recompenses qu’à eux, pourveu qu’ils se convertissent : bref, il les a fait freres de ceux qu’ils calomnient, les conviant par là d’estre plustost charitables, que persecuteurs. L’on ne peut donc accuser Esope d’avoir traitté trop rudement les faux tesmoins, en les comparant au Loup, au Milan, et au Vautour, puisque mesme ils sont pires que les demons.