FABLE XXV.
Des Liévres craignans sans cause.
La forest battuë des vents, faisoit plus de bruict que de coustume : ce qui fut cause que les Liévres espouvantez se mirent vistement à la fuïte. Mais comme ils fuyoient, ils treuverent un Marest qui les empescha de passer outre. En ces extremitez ils se virent bien en peine, pource que le danger les enveloppoit devant et derriere. D’ailleurs, les Grenoüilles les espouvantoient encore plus fort, par le bruict qu’elles faisoient, en se jettant dans l’eau. Alors un des plus vieux, et des plus éloquents de leur trouppe, les voulant rasseurer ; « Pourquoy », dit-il, « nous donnons-nous ainsi l’alarme mal à propos ? que ne prenons nous courage ? Certes nous sommes agiles de corps, mais lasches de cœur. Sus donc, ne nous enfuyons point pour du vent, et nous mocquons de ce danger, qui n’est nullement à craindre ».
Discours sur la vingt-cinquiesme Fable.
La sotte crainte des Liévres, qui s’alloient precipiter, pour se tirer de la peine où ils s’estoient mis, represente la foiblesse de ceux qui meurent▶ de peur de ◀mourir, et s’abandonnent à des maux certains, pour n’esviter que l’effect de leurs soupçons. Quant à la sage remonstrance que leur fit le plus vieil d’entr’eux, par l’exemple des Grenoüilles, cela nous apprend que c’est une excellente consolation à nos maux, de les comparer à ceux d’autruy, quand ils sont plus malheureux que nous. Car il n’est point d’homme si desesperé, qui ne se plaise à la vie, s’il jette les yeux sur une infinité de Mandiants, chargez d’âge et de maladies, qui toutesfois s’estudient à se conserver, comme si leur vie estoit accompagnée de tout ce qu’on appelle bonne fortune. Ce que considerant ceux qui ne sont pas affligez de tant de miseres, ils doivent, sans doute, des remerciments au Ciel, plustost que des plaintes à la Fortune.